La boussole dorée menait Mattéo vers une partie de la ville qu’il ne connaissait pas : un quartier ancien aux ruelles pavées et aux maisons de pierre noircies par le temps. Minette trottinait à ses côtés, ses sens aux aguets. Le soleil déclinait, projetant de longues ombres entre les bâtiments.
« Où est-ce qu’on va, Minette ? » chuchota Mattéo.
La petite chatte s’arrêta devant une bouche d’égout ornée d’un motif étrange : des livres ouverts entourés de plumes. Elle miaula doucement en regardant Mattéo.
« Tu veux qu’on descende là-dedans ? » Mattéo frissonna. Les souterrains ne l’attiraient pas du tout.
Mais la boussole pointait résolument vers le sol, et les deux plumes dans ses poches vibraient d’encouragement. Il souleva la lourde plaque de métal et découvrit, à sa grande surprise, non pas un égout malodorant, mais un escalier de pierre propre éclairé par des torches aux flammes bleues.
« Bon, » soupira-t-il, « allons-y. »
Ils descendirent dans les profondeurs de la ville. L’escalier débouchait sur un réseau de tunnels voûtés qui semblait dater de plusieurs siècles. Les murs étaient couverts de fresques représentant l’histoire des connaissances : des scribes médiévaux, des alchimistes penchés sur leurs cornues, des inventeurs entourés de leurs créations.
Au bout d’un long corridor, ils arrivèrent dans une vaste salle circulaire. Au centre se dressait une fontaine dont l’eau cristalline jaillissait en formant des mots qui dansaient dans l’air avant de retomber en gouttelettes musicales.
« Bienvenue dans les Archives Vivantes, » dit une voix derrière eux.
Mattéo se retourna et découvrit un homme âgé aux cheveux blancs ébouriffés et aux yeux pétillants de malice. Il portait une blouse de laboratoire tachée d’encre et de produits chimiques colorés. Des lunettes de toutes formes pendaient à son cou, et ses poches débordaient d’instruments bizarres.
« Je suis le Professeur Ratage, » dit-il en s’inclinant théâtralement. « Gardien officiel des Erreurs Productives et Collecteur d’Échecs Instructifs. »
« Professeur… Ratage ? » répéta Mattéo, incertain.
« Oh oui ! » s’exclama l’homme avec fierté. « J’ai raté plus d’expériences que n’importe qui d’autre dans l’histoire ! Et chacune de mes erreurs m’a appris quelque chose de précieux ! »
Il se dirigea vers une étagère remplie de bocaux étiquetés : « Erreur n°347 : Mélange de poudre de licorne et de jus de citron », « Ratage n°1205 : Tentative de vol avec des ailes en papier », « Échec n°2001 : Potion pour parler aux poissons rouges ».
« Vous voyez, » continua le professeur en caressant les bocaux avec tendresse, « chaque erreur est un trésor. Cette potion ratée pour parler aux poissons ? Elle m’a permis de découvrir comment communiquer avec les chats ! Ce mélange explosif ? Il m’a menée à l’invention de l’encre qui change de couleur selon l’humeur du lecteur ! »
Mattéo commençait à comprendre. « Vous êtes l’opposé du Professeur Perfectus. »
« Exactement ! » Le Professeur Ratage frappa dans ses mains, déclenchant une petite explosion de confettis colorés. « Perfectus était autrefois mon meilleur ami, vous savez. Nous étudiions ensemble, nous expérimentions ensemble. Mais un jour, lors d’une grande conférence, il a commis une erreur devant tous les savants du royaume. Au lieu d’en rire et d’apprendre, il a eu si honte qu’il a décidé de ne plus jamais se tromper. »
« Qu’est-ce qui s’est passé ? »
« Il a créé sa première machine pour éliminer les erreurs. Puis une deuxième. Puis une troisième. Et maintenant, il veut éliminer toute possibilité d’erreur du monde entier ! » Le professeur secoua tristement la tête. « Il ne comprend plus que l’erreur et la découverte sont sœurs jumelles. »
Il se tourna vers Mattéo avec un regard perçant. « Mais toi, jeune porteur de plumes, tu commences à comprendre, n’est-ce pas ? »
Mattéo hocha la tête. « Oui, je crois. Mais j’ai encore du mal à parler devant les autres. J’ai peur de dire quelque chose de faux. »
« Ah ! » Le professeur sortit une fiole remplie d’un liquide violet pétillant. « J’ai exactement ce qu’il te faut ! Cette potion était censée donner confiance en soi, mais elle a raté. À la place, elle révèle les peurs cachées pour mieux les comprendre. Veux-tu essayer ? »
Mattéo hésita, puis se souvint des paroles de Madame Plumeverte sur le courage. « D’accord. »
Il but une gorgée de la potion. Le goût était étonnamment agréable, comme un mélange de miel et d’étoiles filantes. Immédiatement, il se sentit étrange, comme si ses pensées devenaient visibles.
Autour de lui, des formes brumeuses apparurent : des silhouettes d’enfants qui riaient et pointaient du doigt, des professeurs sévères qui fronçaient les sourcils, des examens couverts de croix rouges.
« Voilà tes peurs, » dit doucement le Professeur Ratage. « Maintenant, regarde-les vraiment. Qu’est-ce qu’elles te disent ? »
Mattéo observa attentivement. Les enfants qui riaient… en fait, ils ne riaient pas méchamment. Ils avaient l’air curieux, intéressés par ce qu’il pourrait dire. Les professeurs sévères… leurs sourcils froncés exprimaient la concentration, pas la colère. Et les examens couverts de croix rouges… les corrections montraient où il pouvait s’améliorer.
« Mes peurs ne sont pas vraiment mes peurs, » murmura-t-il avec émerveillement. « Ce sont des histoires que je me raconte. »
« Exactement ! » applaudit le professeur. « Et maintenant que tu les vois clairement, que veux-tu faire ? »
Mattéo prit une grande inspiration. « Je veux essayer de parler, même si je ne suis pas sûr de ce que je dis. »
« Parfait ! Car j’ai justement une énigme pour toi ! » Le professeur se dirigea vers le fond de la salle, où une porte massive était fermée par sept serrures différentes. « Derrière cette porte se trouve la Plume de l’Exploration. Mais pour l’obtenir, tu dois résoudre l’Énigme des Erreurs Utiles. »
Il pointa vers les serrures. « Chacune s’ouvre avec la solution d’une énigme. Mais attention : les bonnes réponses ne fonctionneront pas ! Seules les ‘mauvaises’ réponses, celles qui semblent fausses mais contiennent une vérité cachée, ouvriront les serrures. »
Mattéo s’approcha de la première serrure. Au-dessus était gravée la question : « Combien font 2 + 2 ? »
« Quatre, » dit-il automatiquement. La serrure ne bougea pas.
Il réfléchit. Quelle réponse pourrait sembler fausse mais contenir une vérité ? « Parfois cinq, » essaya-t-il, « si on se trompe dans l’addition, on peut découvrir de nouveaux nombres. »
Clic ! La première serrure s’ouvrit.
La deuxième question était : « Que fait un scientifique quand son expérience échoue ? »
« Il recommence ? » Rien. « Il… il célèbre ! Parce que l’échec lui apprend quelque chose de nouveau ! »
Clic ! Deuxième serrure ouverte.
Les questions suivantes étaient de plus en plus complexes, mais Mattéo commençait à comprendre la logique. Il fallait renverser sa façon de penser, accepter que les réponses « incorrectes » puissent contenir leur propre sagesse.
« Qu’est-ce qui est plus précieux : savoir ou ne pas savoir ? »
« Ne pas savoir ! » répondit Mattéo avec assurance. « Parce que quand on ne sait pas, on peut encore découvrir ! »
Clic !
« Quand doit-on poser des questions ? »
« Tout le temps ! Même quand on pense connaître la réponse ! »
Clic !
« Que faire face à l’inconnu ? »
« Foncer dedans ! L’inconnu cache toujours des merveilles ! »
Clic !
« Comment devient-on sage ? »
« En faisant des erreurs et en apprenant d’elles ! »
Clic !
La dernière question le fit hésiter : « Qui es-tu vraiment ? »
Mattéo réfléchit longuement. Qui était-il ? Un garçon timide ? Un bon élève ? Un observateur silencieux ?
« Je suis quelqu’un qui apprend encore, » dit-il finalement. « Je ne suis pas parfait, et c’est parfait comme ça. »
La dernière serrure s’ouvrit avec un déclic sonore.
Derrière la porte l’attendait une plume d’un vert émeraude parsemée d’étoiles dorées qui semblaient bouger. Dès qu’il la toucha, Mattéo sentit une énergie nouvelle l’envahir : l’envie d’explorer, de découvrir, d’aller vers l’inconnu.
« Félicitations ! » s’exclama le Professeur Ratage. « Tu viens de comprendre que l’exploration commence par l’acceptation de ne pas tout savoir ! »
Soudain, un bruit sourd résonna dans les tunnels. Des pas lourds se rapprochaient.
« Perfectus, » murmura le professeur avec inquiétude. « Il a trouvé l’entrée. Vite, il faut que tu partes ! »
Il ouvrit une trappe dans le sol. « Ce passage mène directement à la bibliothèque. Tu y trouveras ta prochaine épreuve. Mais souviens-toi : tu n’es plus le même garçon qu’au début de cette aventure. Tu as déjà trois plumes, et avec elles, trois nouvelles façons de voir le monde ! »
Mattéo glissa dans le passage avec Minette. Derrière eux, la voix glaciale du Professeur Perfectus résonnait : « Ratage ! Où est l’enfant ? »
« Quel enfant ? » répondit innocemment son ancien ami. « Je ne vois ici que mes précieuses erreurs ! »
Mattéo sourit en courant dans le tunnel. Il avait maintenant trois plumes magiques et, plus important encore, il commençait à comprendre que ses peurs n’étaient que des ombres. La vraie aventure ne faisait que commencer.
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 107