Le ballon fendait l’air comme une comète. Lucas s’élança, calculant parfaitement la trajectoire. D’un coup de tête magistral, il envoya le ballon dans le but improvisé entre deux cartables.
« Buuuut ! » cria-t-il en levant les bras, mimant son idole du championnat. « C’est comme ça qu’on marque, Théo ! »
Le terrain vague derrière l’école primaire de Saint-Arbois n’avait rien d’un stade professionnel, mais pour Lucas et ses amis, c’était leur Parc des Princes personnel. Un espace poussiéreux entouré d’herbes hautes, avec quelques arbres noueux qui servaient de repères. L’odeur de terre sèche et d’herbe fraîchement coupée du parc voisin flottait dans l’air tiède de cette fin d’après-midi de juin.
Lucas réajusta son maillot rouge légèrement trop grand – un cadeau de son père David après leur dernier match ensemble – et passa la main dans ses cheveux bruns ébouriffés. Ses genoux égratignés témoignaient de son engagement total dans chaque action.
« Ça ne compte pas ! » protesta Théo, son meilleur ami aux boucles blondes et au visage constellé de taches de rousseur. « Tu as changé la règle pendant qu’on jouait. Tu avais dit qu’on ne pouvait pas marquer de la tête ! »
Lucas fronça les sourcils, ses yeux marron pétillants devenus soudain plus durs. « Mais non, j’ai dit qu’on pouvait marquer de n’importe quelle façon si on était en dehors de la zone ! »
« C’est toujours pareil avec toi », soupira Théo en secouant la tête. « Tu changes les règles quand ça t’arrange. »
Derrière eux, Nathan, le petit frère de Lucas, âgé de six ans, observait la scène avec de grands yeux inquiets. Plus petit et plus frêle que les garçons plus âgés, il serrait contre lui son petit ballon jaune, n’osant pas intervenir.
« Je suis capitaine, c’est moi qui décide ! » s’emporta Lucas, tapant du pied si fort qu’un petit nuage de poussière s’éleva autour de sa chaussure.
« Capitaine auto-proclamé, tu veux dire ! » répliqua Théo, dont les joues commençaient à rougir sous le coup de la colère.
Les deux garçons se tenaient maintenant face à face, poings serrés. Nathan recula instinctivement de quelques pas.
C’est alors qu’un son étrange résonna dans l’air. Un sifflement aigu, mais mélodieux, semblait provenir du bosquet d’arbres au fond du terrain. Les trois garçons tournèrent la tête simultanément vers cette direction.
Une silhouette émergea lentement de l’ombre des arbres. Un homme grand et imposant, portant un vieux maillot de football décoloré et une cape rouge effilochée qui flottait derrière lui malgré l’absence de vent. Sa barbe grise mal taillée et ses cheveux en bataille lui donnaient un air sauvage, presque menaçant. Dans sa main, il tenait un sifflet doré qui brillait d’une lueur surnaturelle.
« Ah, quel délicieux conflit », dit l’homme d’une voix profonde qui semblait résonner directement dans leurs têtes. « Des amis qui se disputent pour des règles, un leader contesté… exactement ce que j’attendais. »
« Qui… qui êtes-vous ? » demanda Lucas, soudain moins assuré, se plaçant instinctivement devant son petit frère.
« Je suis Commandux, ancien capitaine des légendaires Météores Noirs », répondit l’homme en s’inclinant avec une élégance surprenante. « Et je suis venu vous proposer une solution à votre… désaccord. »
Ses yeux d’un bleu intense étaient à la fois intimidants et captivants. Théo et Lucas échangèrent un regard incertain.
« Vous êtes trop jeunes pour vous souvenir de moi », poursuivit Commandux en faisant tournoyer son sifflet doré entre ses doigts. « Mais j’étais le plus grand capitaine que ce sport ait jamais connu. Jusqu’à ce que mes joueurs me trahissent, refusant de suivre mes ordres parfaits. »
« On n’a pas besoin de votre aide », affirma Lucas en redressant les épaules, retrouvant un peu de son assurance. « C’est juste un désaccord entre amis. »
« Vraiment ? » Le sourire de Commandux s’élargit, révélant des dents étrangement pointues. « Pourtant, je sens la frustration qui émane de vous deux. La tension, la colère… »
D’un geste vif, il porta le sifflet doré à ses lèvres et souffla. Aucun son ne parvint aux oreilles des garçons, mais une onde de choc invisible les traversa. Lucas se sentit soudain étourdi.
« Papa ! » s’écria vivement Nathan, pointant du doigt derrière eux.
Lucas et Théo se retournèrent pour voir David, le père de Lucas, qui s’approchait du terrain. Mais quelque chose n’allait pas. Il marchait d’une démarche raide, mécanique, et ses yeux habituellement chaleureux semblaient vides, comme si une brume bleuâtre les voilait.
« Je viens chercher… Nathan », articula David d’une voix monotone qui ne ressemblait en rien à la sienne. « Lucas… tu restes ici… avec ton ami Théo… et le grand capitaine… »
« Papa ? » La voix de Lucas tremblait légèrement. « Qu’est-ce qui t’arrive ? »
David ne répondit pas. Il prit simplement la main de Nathan et commença à s’éloigner d’un pas mécanique.
« Qu’est-ce que vous lui avez fait ? » cria Lucas en se tournant vers Commandux, la peur cédant la place à la colère.
Commandux éclata d’un rire qui ressemblait au grondement d’un orage lointain. « Simplement ce que tout bon capitaine fait : j’ai pris le contrôle. Maintenant, lui et bientôt tous les adultes de cette ville suivront mes ordres sans jamais les contester. »
Lucas s’élança vers son père, mais se heurta à une barrière invisible qui entourait maintenant le terrain vague.
« Inutile, jeune capitaine en herbe », ricana Commandux. « Ton père est sous mon emprise, tout comme ton petit frère le sera bientôt. »
Les yeux de Lucas s’écarquillèrent d’horreur en voyant son petit frère se retourner une dernière fois vers lui, l’inquiétude se lisant sur son visage avant de disparaître au coin de la rue.
Théo, qui était resté figé de stupeur, s’approcha enfin de Lucas. « Qu’est-ce qu’on va faire ? »
Commandux s’approcha des garçons, son ombre démesurée s’étendant sur le sol poussiéreux. « Vous avez deux options : soit vous vous soumettez à mon autorité et rejoignez mon équipe parfaite, soit… »
Il pointa son sifflet vers la ville en contrebas. « Soit vous tentez de récupérer les légendaires Onze Étoiles du Football, dispersées dans des royaumes que vous n’imaginez même pas. Seul leur pouvoir combiné peut briser mon enchantement. »
« Des étoiles ? » répéta Lucas, confus mais attentif.
« Onze artefacts magiques représentant les véritables valeurs du sport : le courage, la persévérance, l’esprit d’équipe… » Commandux cracha ce dernier mot avec dégoût. « Elles ont été cachées il y a longtemps pour les préserver de personnes comme moi. »
Lucas et Théo échangèrent un regard. Sans même se parler, ils comprirent qu’ils n’avaient pas le choix.
« Nous trouverons ces étoiles », déclara fermement Lucas. « Et nous libérerons mon père et Nathan. »
Commandux sourit à nouveau, mais cette fois, ses yeux bleus brillaient d’une lueur inquiétante. « Excellent. Mais pour ça, il faudra d’abord trouver le passage vers le Premier Royaume. »
Le sol sous leurs pieds commença soudain à trembler. Au centre du terrain vague, la terre se craquela, révélant une lueur dorée qui filtrait entre les fissures.
« Premier avertissement, jeunes aventuriers », lança Commandux en reculant vers les arbres, « seule une véritable équipe peut espérer réussir cette quête. Un capitaine têtu qui n’écoute pas les autres… est voué à l’échec. »
Sur ces mots, il disparut dans les ombres, laissant derrière lui son rire menaçant qui résonnait dans l’air.
Les fissures s’élargissaient maintenant, formant un motif circulaire parfait au centre du terrain. De la lumière dorée en jaillissait, illuminant les visages stupéfaits de Lucas et Théo.
« Lucas… » murmura Théo, la voix nouée par l’émotion. « Je crois que c’est un portail. »
Lucas fixait l’ouverture lumineuse, puis tourna son regard vers la ville où son père et son petit frère avaient disparu. Sa main serrait si fort son ballon que ses jointures en étaient blanches.
« On va les sauver », affirma-t-il avec une détermination nouvelle. « Ensemble. »
Il tendit sa main libre vers Théo, dans un geste de réconciliation. Après une seconde d’hésitation, Théo la saisit fermement.
La lumière du portail s’intensifia soudainement, les enveloppant d’un halo doré éblouissant. La dernière chose que Lucas entendit avant que le monde autour d’eux ne disparaisse fut le sifflet lointain de Commandux, comme un défi lancé à travers les dimensions.
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 95