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Lorsque Léo et Luna émergèrent du portail, le soleil commençait à se coucher sur le lycée désert. Tom était assis sur un banc à proximité, le visage enfoui dans ses mains. En entendant le léger bourdonnement du portail se refermant, il releva brusquement la tête.
« Léo ! » s’écria-t-il en bondissant du banc. « Tu es revenu ! »
Il se précipita vers son ami, s’arrêtant net en apercevant Luna à ses côtés. « Et Luna aussi ! Vous allez bien tous les deux ? »
Léo acquiesça, épuisé mais soulagé. « Ça va. Nous sommes sortis de justesse. »
« Qu’est-ce qui s’est passé ? Ça fait des heures que j’attends ! Lucas et les autres se sont effondrés après ta disparition, puis ils se sont réveillés complètement désorientés, ne se souvenant de rien. Les professeurs les ont emmenés à l’infirmerie. »
« Et personne ne t’a posé de questions ? » s’étonna Léo.
« Si, bien sûr. J’ai dit que je ne savais pas ce qui s’était passé, que j’étais arrivé après. » Tom s’accroupit pour caresser Luna. « Je suis content que vous soyez tous les deux sains et saufs. J’étais mort d’inquiétude. »
« On ferait mieux de partir d’ici, » suggéra Léo en regardant autour d’eux. « Je te raconterai tout en chemin. »
Ils quittèrent l’enceinte du lycée, Luna marchant dignement devant eux comme si elle n’avait jamais été retenue prisonnière dans une dimension parallèle. Tandis qu’ils traversaient les rues calmes du quartier résidentiel, Léo raconta à Tom sa confrontation avec Le Moqueur, la Salle des Miroirs, et comment il avait réussi à purifier le miroir primordial.
« Alors c’est fini ? » demanda Tom lorsque Léo eut terminé son récit. « Le Moqueur est vaincu ? »
« Pas définitivement, » intervint Luna, parlant directement dans leurs esprits pour éviter d’attirer l’attention. « Il reviendra un jour, quand suffisamment de peur et de honte se seront à nouveau accumulées dans le monde. Mais pour l’instant, il est considérablement affaibli. »
« Et que se passe-t-il maintenant ? » demanda Tom. « Pour toi, je veux dire. Tu retournes simplement être un chat ordinaire ? »
Luna émit un son qui ressemblait étrangement à un rire. « Je n’ai jamais été un chat ordinaire, Tom. Je continuerai à veiller sur Léo, comme je l’ai toujours fait. Et sur toi aussi, maintenant que tu es impliqué dans cette histoire. »
Ils atteignirent le carrefour où leurs chemins se séparaient — Tom vers la droite, Léo et Luna tout droit.
« On se voit demain ? » demanda Tom, hésitant à laisser son ami après une telle épreuve.
« Bien sûr, » confirma Léo avec un sourire fatigué. « Merci d’avoir été là aujourd’hui. Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans ton soutien. »
Tom lui donna une accolade rapide. « C’est à ça que servent les amis. Repose-toi bien, tu l’as mérité. »
Lorsque Tom s’éloigna, Léo et Luna reprirent leur route en silence. La nuit commençait à tomber, enveloppant les rues d’une pénombre douce qui n’avait rien à voir avec les ténèbres oppressantes de la Salle des Miroirs.
« Tu as été très courageux aujourd’hui, » dit Luna après un moment. « Peu de Luminographes auraient pu faire ce que tu as fait. »
« J’étais terrifié, » admit Léo. « Mais je ne pouvais pas t’abandonner. »
« La vraie bravoure n’est pas l’absence de peur, mais la capacité à agir malgré elle. » Luna sauta sur un muret pour être à hauteur de son visage. « Tu as découvert ta propre vérité aujourd’hui, Léo. C’est la plus puissante des magies. »
Ils arrivèrent finalement chez Léo. La maison était silencieuse, les lumières du salon encore allumées malgré l’heure tardive. Léo hésita devant la porte.
« Ils doivent être inquiets, » murmura-t-il. « Comment je vais leur expliquer mon retard ? »
« Peut-être qu’il est temps de partager une partie de ta vérité avec eux aussi, » suggéra Luna. « Pas toute l’histoire de Lumigraph, bien sûr, mais ce que tu traverses à l’école. »
Léo prit une profonde inspiration et ouvrit la porte. Dans le salon, ses parents étaient assis côte à côte sur le canapé, visiblement tendus. Anaïs était perchée sur l’accoudoir d’un fauteuil, pianotant nerveusement sur son téléphone.
Dès qu’il entra, trois paires d’yeux se fixèrent sur lui.
« Léo ! » s’exclama sa mère en se levant d’un bond. « Où étais-tu ? Nous étions morts d’inquiétude ! »
« Le lycée a appelé, » ajouta son père, le visage grave. « Il s’est passé quelque chose avec plusieurs élèves qui ont été trouvés inconscients derrière le gymnase. Tu étais là ? »
Anaïs, qui s’était précipitée pour prendre Luna dans ses bras, lançait à Léo des regards interrogateurs.
« Je… j’ai des choses à vous dire, » commença Léo, sentant sa gorge se nouer. « Des choses que je vous cache depuis trop longtemps. »
Ses parents échangèrent un regard, puis sa mère tendit la main pour l’inviter à s’asseoir avec eux. « Nous t’écoutons, mon chéri. »
Léo s’assit lourdement, Luna sautant des bras d’Anaïs pour venir se blottir contre lui, comme pour lui donner du courage.
« Depuis plusieurs mois, je suis harcelé au lycée, » dit-il finalement, les mots sortant difficilement mais avec soulagement. « Des insultes, des messages, des photos modifiées… C’est devenu de pire en pire. »
Sa mère porta une main à sa bouche, les yeux soudain brillants de larmes. Son père se raidit, son expression passant de la surprise à la colère contenue.
« Pourquoi tu ne nous as rien dit ? » demanda Marie doucement.
« J’avais… honte, » admit Léo, baissant les yeux. « Je pensais que je devais gérer ça tout seul, que vous demander de l’aide serait un signe de faiblesse. »
« Oh, Léo, » soupira sa mère en lui prenant la main. « Demander de l’aide n’est jamais un signe de faiblesse. C’est un signe de force. »
« Qui te fait ça ? » demanda Pierre, sa voix calme mais tendue.
« Principalement Lucas Dubois et ses amis, » répondit Léo. « Mais aujourd’hui, quelque chose d’étrange s’est produit. Ils m’ont confronté derrière le gymnase, puis… ils se sont tous effondrés. »
Il omit délibérément de mentionner Le Moqueur, les portails dimensionnels, et sa propre disparition temporaire.
« Tom était avec moi, » ajouta-t-il rapidement. « Il pourra confirmer. Je ne leur ai rien fait, je vous le jure. »
« Nous te croyons, » assura sa mère. « L’important maintenant est de s’occuper de ce harcèlement. Nous allons contacter le lycée dès demain. »
« Non ! » protesta Léo instinctivement, avant de se radoucir devant l’expression blessée de ses parents. « Je veux dire… je ne veux pas que ça empire. Si vous intervenez officiellement… »
« Léo, » intervint son père en se penchant vers lui, « je comprends ta réticence. Vraiment. Mais cette situation ne peut pas continuer. »
Quelque chose dans le ton de son père fit lever les yeux à Léo. Il y avait dans le regard de Pierre une compréhension qui semblait dépasser les simples mots.
« Comment tu peux comprendre ? » demanda Léo doucement.
Pierre soupira profondément, échangeant un regard avec Marie qui hocha légèrement la tête.
« Parce que j’ai vécu quelque chose de similaire quand j’avais ton âge, » révéla-t-il. « Pas exactement la même chose — il n’y avait pas de téléphones portables ou de réseaux sociaux à l’époque — mais le harcèlement, les insultes, la sensation d’être piégé… Ça, je connais. »
Léo le regardait, stupéfait. Son père, cet homme calme et réservé, cet adulte respecté dans son travail, avait été harcelé ?
« Je n’en ai jamais parlé à mes parents, » continua Pierre. « J’ai tout gardé pour moi, pensant que je devais régler ça seul. Ça a duré presque deux ans, et ces années ont été les plus sombres de ma vie. »
« Comment ça s’est terminé ? » demanda Léo, captivé par cette révélation.
« J’ai finalement craqué. Une crise d’angoisse en plein cours. Je ne pouvais plus respirer, je tremblais… C’est seulement à ce moment-là que les adultes ont réalisé que quelque chose n’allait pas. » Pierre fit une pause, son regard se perdant momentanément dans ses souvenirs. « Je ne veux pas que tu atteignes ce point, Léo. Personne ne devrait avoir à souffrir en silence comme je l’ai fait. »
Un silence s’installa dans le salon, chargé d’émotions non dites. Anaïs, qui était restée inhabituellement silencieuse, s’approcha finalement pour s’asseoir à côté de Léo.
« Je savais que quelque chose n’allait pas, » dit-elle. « J’aurais dû insister plus tôt. »
« Ce n’est pas ta faute, » répondit Léo en lui touchant l’épaule. « C’était à moi de parler. »
« Comment te sens-tu maintenant ? » demanda sa mère avec douceur.
Léo réfléchit un instant. Comment se sentait-il ? Après tout ce qu’il avait vécu aujourd’hui — la confrontation avec Le Moqueur, la découverte de sa propre force intérieure — le harcèlement scolaire semblait presque secondaire. Pas moins réel ou douloureux, mais moins… définitif.
« Je me sens… plus léger, » répondit-il honnêtement. « Comme si je portais un poids depuis si longtemps que j’avais oublié ce que c’était de ne pas l’avoir. Juste de vous en parler… ça aide déjà. »
Marie serra sa main, les larmes coulant librement maintenant. « Nous sommes là pour toi, mon chéri. Toujours. »
« Je voudrais… je voudrais gérer ça à ma façon d’abord, » dit Léo après un moment de réflexion. « Pas tout seul, mais à ma façon. Si ça ne marche pas, alors on pourra impliquer le lycée officiellement. »
Ses parents échangèrent un regard, semblant communiquer silencieusement.
« D’accord, » concéda finalement son père. « Mais à une condition : tu nous tiens au courant. Plus de secrets, plus de souffrance silencieuse. Et si à n’importe quel moment tu sens que ça devient trop, tu nous le dis immédiatement. »
« Promis, » acquiesça Léo.
Cette nuit-là, malgré l’épuisement, Léo eut du mal à trouver le sommeil. Les révélations de la journée tournaient dans son esprit comme un kaléidoscope d’images — Le Moqueur se dissolvant, le miroir primordial transformé en fenêtre lumineuse, et plus surprenant encore, son père adolescent confronté aux mêmes douleurs que lui.
Luna était blottie contre lui, ronronnant doucement, sa présence réconfortante dans l’obscurité.
« Tu ne dors pas, » constata-t-elle mentalement.
« Trop de choses à penser, » répondit-il de la même façon.
« C’est compréhensible. Tu as vécu plus en une journée que la plupart des gens en une vie. »
Léo caressa distraitement la tête de Luna. « Je n’aurais jamais imaginé que mon père avait traversé quelque chose de similaire. Il a toujours l’air si… solide, si sûr de lui. »
« C’est souvent le cas, » réfléchit Luna. « Ceux qui ont connu la fragilité développent parfois les carapaces les plus solides. Mais la vraie force ne vient pas de la carapace — elle vient de la vulnérabilité acceptée. »
« Comme le miroir, » murmura Léo. « Ce n’est qu’en acceptant toutes les facettes de moi-même que j’ai pu le transformer. »
« Exactement. Le Moqueur se nourrit de la honte qui accompagne la vulnérabilité. Mais quand tu acceptes cette vulnérabilité comme une partie de toi, elle devient une force qu’il ne peut pas corrompre. »
Léo regarda par la fenêtre, où la lune presque pleine baignait sa chambre d’une douce lumière argentée. « Je me demande si Lucas ressent la même chose. Cette honte, cette vulnérabilité qu’il essaie de cacher derrière sa cruauté. »
« C’est fort probable, » confirma Luna. « L’Étang des Reflets ne ment jamais. Ce que tu as vu — Lucas pleurant seul — c’est une vérité qu’il cache soigneusement aux autres, et peut-être même à lui-même. »
« Comment puis-je l’utiliser ? Non pas pour me venger, » précisa rapidement Léo, « mais pour arrêter le harcèlement ? »
« Parfois, la simple reconnaissance de la douleur de l’autre peut créer un pont là où il y avait un mur. Ce n’est pas à toi de guérir Lucas de ses blessures, mais peut-être peux-tu l’aider à voir au-delà de sa propre peur. »
Léo hocha la tête, sentant un plan se former dans son esprit. « Je crois que je sais quoi faire demain. »
« Je te fais confiance, » murmura Luna, fermant les yeux. « Tu as prouvé aujourd’hui que tu étais capable de bien plus que tu ne le pensais. »
Finalement, le sommeil vint le chercher, et pour la première fois depuis des semaines, Léo dormit paisiblement, sans cauchemars, sans Ombres Chuchotantes pour troubler son repos.
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Le lendemain matin, le lycée bourdonnait de rumeurs sur l’incident de la veille. L’histoire officielle parlait d’une intoxication collective, peut-être due à des substances inhalées, mais personne n’y croyait vraiment. Les quatre garçons concernés, dont Lucas, avaient été renvoyés chez eux pour se reposer.
Quand Léo arriva, accompagné de Tom, il sentit les regards curieux se tourner vers lui. Pour une fois, ces regards n’étaient pas moqueurs ou méprisants, juste… intéressés.
« Tu es sûr de vouloir faire ça ? » demanda Tom alors qu’ils se dirigeaient vers leur première classe. « Tu pourrais simplement profiter du fait qu’ils ne sont pas là aujourd’hui. »
« J’en suis sûr, » confirma Léo. « Si j’attends, je perdrai mon courage. Et puis, quelque chose me dit que c’est maintenant ou jamais. »
Après les cours, suivant l’adresse qu’il avait trouvée dans l’annuaire du lycée, Léo se rendit chez Lucas. C’était une grande maison dans un quartier aisé, avec un jardin impeccablement entretenu et une voiture de luxe dans l’allée.
Hésitant un instant sur le perron, Léo prit une profonde inspiration et sonna. Ce fut la mère de Lucas qui ouvrit, une femme élégante au visage tendu par l’inquiétude.
« Oui ? » demanda-t-elle, visiblement surprise de trouver un adolescent à sa porte.
« Bonjour, Madame Dubois. Je m’appelle Léo Martin, je suis dans la classe de Lucas. Je… je voulais prendre de ses nouvelles après ce qui s’est passé hier. »
La femme le dévisagea avec un mélange de surprise et de suspicion. « Tu es un ami de Lucas ? »
Léo hésita. Mentir serait plus simple, mais ce n’était pas pour cela qu’il était venu. « Pas exactement, non. Mais j’étais là hier, et… je pense que nous avons besoin de parler. »
Quelque chose dans son ton ou son expression dut convaincre Mme Dubois, car après un moment d’hésitation, elle s’écarta pour le laisser entrer.
« Lucas est dans sa chambre. Premier étage, deuxième porte à droite. Il ne se sent pas très bien, alors ne reste pas trop longtemps. »
Léo la remercia et monta l’escalier, son cœur battant la chamade. Qu’allait-il dire exactement ? Comment Lucas allait-il réagir en le voyant ?
Il frappa doucement à la porte indiquée.
« Je t’ai dit que je n’avais pas faim, maman, » répondit une voix fatiguée de l’autre côté.
« Ce n’est pas ta mère, » dit Léo, surpris par la fermeté de sa propre voix. « C’est Léo Martin. »
Un long silence suivit, puis des bruits de pas, et la porte s’ouvrit sur un Lucas méconnaissable. Ses yeux étaient rouges et cernés, ses cheveux en désordre, son teint pâle. Il portait un t-shirt froissé et un pantalon de jogging, loin de son apparence soignée habituelle.
« Qu’est-ce que tu fais ici ? » demanda-t-il, son ton moins agressif que confus.
« Je peux entrer ? » demanda Léo plutôt que de répondre directement.
Lucas hésita, puis haussa les épaules et s’écarta. Sa chambre était spacieuse et bien meublée, mais étrangement impersonnelle — pas de posters aux murs, peu d’objets personnels visibles.
« Si tu es venu pour te venger de quelque façon que ce soit, » dit Lucas en s’asseyant lourdement sur son lit, « autant te dire que je me sens déjà assez mal comme ça. »
« Je ne suis pas venu pour me venger, » répondit Léo en restant debout. « Je suis venu pour comprendre. »
Lucas le regarda avec suspicion. « Comprendre quoi ? »
« Pourquoi tu fais ça. Pourquoi tu passes ton temps à humilier les autres, à les faire souffrir. À me faire souffrir. »
Lucas détourna le regard, fixant un point invisible sur le mur. « Je ne sais pas de quoi tu parles. »
« Tu le sais très bien, » insista Léo, mais sans agressivité. « Les messages, les photos modifiées, les commentaires dans les couloirs. Pourquoi, Lucas ? »
Un silence pesant s’installa. Léo attendit patiemment, observant les émotions contradictoires qui passaient sur le visage de son tourmenteur.
« Qu’est-ce qui s’est passé hier ? » demanda finalement Lucas, ignorant sa question. « Je me souviens de t’avoir donné rendez-vous derrière le gymnase, puis… plus rien. Juste des cauchemars, des miroirs, et… des ombres qui chuchotaient. »
Léo tressaillit légèrement. Lucas se souvenait donc partiellement de l’influence du Moqueur. « Parfois, nos peurs prennent le dessus, » dit-il prudemment. « Elles nous font voir et entendre des choses. »
« Mes peurs ? » répéta Lucas avec un rire amer. « De quoi j’aurais peur, selon toi ? »
« De ne pas être à la hauteur, » répondit Léo simplement. « De décevoir, d’être rejeté, d’être vu comme faible. D’être seul. »
Lucas le fixa, son expression passant de la colère à la stupéfaction. « Tu ne sais rien de moi, » murmura-t-il, mais sa voix manquait de conviction.
« Je sais que tu pleures quand tu es seul, » dit doucement Léo. « Je sais que cette façade que tu montres au lycée — le type cool, confiant, intouchable — ce n’est pas vraiment toi. »
« Comment tu pourrais savoir ça ? » demanda Lucas, soudain pâle.
« Parce que je reconnais la douleur quand je la vois. Parce que pendant des mois, j’ai vécu avec ma propre douleur, pensant que j’étais seul à souffrir. Mais ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ? Nous souffrons tous, d’une façon ou d’une autre. »
Lucas se leva brusquement, faisant les cent pas dans la chambre comme un animal en cage. « Qu’est-ce que tu veux, Léo ? Une confession ? Des excuses ? Tu veux que je me mette à genoux et que je supplie ton pardon ? »
« Non, » répondit calmement Léo. « Je veux juste que ça s’arrête. Pas seulement pour moi, mais pour toi aussi. Parce que chaque fois que tu me fais du mal, tu te fais du mal à toi-même aussi. »
Lucas s’arrêta net, fixant Léo avec une expression indéchiffrable. Puis, à la grande surprise de Léo, ses yeux se remplirent de larmes.
« Tu ne comprends pas, » dit-il, sa voix se brisant. « Tu ne peux pas comprendre. »
« Alors explique-moi, » encouragea Léo. « Je suis là pour écouter. »
Lucas s’effondra sur son lit, passant ses mains sur son visage pour essuyer ses larmes. Après un long silence, il commença à parler, d’abord hésitant, puis de plus en plus fluidement.
Il raconta son père absent, toujours en voyage d’affaires, qui ne s’intéressait à lui que pour ses résultats scolaires et sportifs. Sa mère, distante et perfectionniste, plus préoccupée par les apparences que par le bonheur de son fils. La pression constante pour être parfait, pour réussir, pour être ce qu’ils voulaient qu’il soit.
« Et puis il y a toi, » dit-il finalement. « Toi avec ton talent, tes dessins qui semblent vivants, ta façon d’être toi-même sans te soucier de ce que les autres pensent. Ça me rendait fou. Comment pouvais-tu être si… libre, alors que je me sentais prisonnier dans ma propre vie ? »
Léo l’écoutait, stupéfait. Jamais il n’aurait imaginé que Lucas puisse l’envier, lui, le garçon timide et réservé que tous semblaient ignorer ou mépriser.
« Je ne suis pas libre, » répondit-il doucement. « J’ai passé des mois à vivre dans la peur, à regarder constamment par-dessus mon épaule, à redouter le prochain message, la prochaine humiliation. Ce n’est pas la liberté, Lucas. »
Lucas hocha la tête, semblant comprendre pour la première fois l’impact de ses actions. « Je suis désolé, » dit-il, les mots sortant difficilement. « Je ne peux pas défaire ce que j’ai fait, mais je suis vraiment désolé. »
Léo sentit quelque chose se dénouer en lui — pas du pardon, pas encore, mais peut-être le début d’une compréhension.
« Hier, » commença Lucas, hésitant, « quand nous étions derrière le gymnase… il s’est passé quelque chose d’étrange. Je me suis senti… possédé, comme si quelque chose d’autre parlait à travers moi. Et puis cette déchirure dans l’air, et toi qui disparaissais… C’était réel, n’est-ce pas ? »
Léo choisit ses mots avec soin. « Disons que certaines peurs, certaines souffrances, peuvent prendre une vie propre si on les laisse grandir sans les affronter. Elles peuvent nous contrôler, nous transformer en personnes que nous ne reconnaissons plus. »
Lucas semblait réfléchir profondément à ces paroles. « Et comment on les arrête ? Ces peurs ? »
« En les regardant en face, » répondit Léo. « En acceptant notre vulnérabilité au lieu de la cacher. En parlant à quelqu’un — un ami, un parent, un professionnel. En réalisant que nous ne sommes pas seuls. »
Un nouveau silence s’installa, plus paisible cette fois. Lucas semblait épuisé mais d’une certaine façon plus léger, comme si un poids avait été partiellement soulevé de ses épaules.
« Qu’est-ce qui se passe maintenant ? » demanda-t-il finalement. « Entre nous, je veux dire. »
Léo réfléchit un instant. « Je ne peux pas te promettre qu’on sera amis, pas après tout ce qui s’est passé. Mais je peux te promettre que je ne cherche pas à me venger. Peut-être qu’on peut simplement… recommencer. Pas comme amis, mais pas comme ennemis non plus. »
Lucas hocha la tête lentement. « Je ferai arrêter les messages, les moqueries. Je parlerai aux autres. Ça prendra peut-être du temps, mais… je ferai ce qu’il faut. »
« C’est un début, » reconnut Léo.
Alors qu’il se levait pour partir, Lucas l’arrêta d’une question : « Comment tu savais ? Pour les pleurs, je veux dire. Comment tu pouvais savoir ça ? »
Léo sourit légèrement. « Disons que j’ai eu un aperçu de ce qui se cache derrière les masques que nous portons tous. Et parfois, ce qu’on y voit est plus semblable qu’on ne voudrait l’admettre. »
En quittant la maison des Dubois, Léo se sentait étrangement léger, comme si une page venait d’être tournée. Ce n’était pas une résolution parfaite — les blessures étaient trop profondes pour être guéries en une seule conversation — mais c’était un commencement.
Luna l’attendait à l’angle de la rue, assise dignement sur un muret, comme si elle avait toujours su qu’il passerait par là.
« Comment ça s’est passé ? » demanda-t-elle quand il s’approcha.
« Mieux que je ne l’espérais, » admit Léo. « Je pense que c’est le début de quelque chose de nouveau. »
« La vérité a ce pouvoir, » observa Luna en sautant pour marcher à ses côtés. « Elle peut blesser, mais elle peut aussi guérir. »
Alors qu’ils rentraient ensemble sous le soleil déclinant, Léo réalisa que sa victoire sur Le Moqueur n’était pas simplement dans la Salle des Miroirs. Elle se poursuivait ici, dans le monde réel, dans chaque conversation honnête, dans chaque peur confrontée, dans chaque pas vers l’acceptation de soi.
La bataille contre les Ombres ne se gagnait pas en un jour, ni même en une vie peut-être. Mais aujourd’hui, au moins, la lumière avait gagné un peu plus de terrain.
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 38