Le grenier craquait sous ses pas. Bruno ajusta ses lunettes de soleil, même si la lumière filtrait à peine à travers la petite lucarne poussiéreuse. Sa mère, Marie-Lou, lui avait finalement donné la permission d’explorer les vieux cartons entassés depuis des années.
Dehors, l’orage grondait. Dans le vieil appartement parisien, celui que sa mère lui prêtait gratuitement depuis qu’il avait terminé ses études, Bruno se sentait à la fois protégé et prisonnier. À douze ans, grand pour son âge avec ses cheveux bruns dressés en pics rebelles, il rêvait souvent d’ailleurs. D’un ailleurs précis : la Bretagne, ses côtes sauvages, ses légendes.
« Tu trouves quelque chose d’intéressant là-haut ? » cria Marie-Lou depuis le salon, sa voix légèrement étouffée par la distance.
« Pas encore, maman ! » répondit-il en ouvrant un nouveau carton.
Tresi, sa fidèle berger australienne, renifla avec curiosité autour de lui. Son pelage tricolore – noir, blanc et marron – se dressa légèrement quand un coup de tonnerre résonna.
« C’est rien, Tresi, » murmura Bruno en caressant sa tête. « Juste l’orage. »
Mais la chienne ne semblait pas convaincue. Elle fixait un point précis, au fond du grenier, derrière une vieille armoire.
Intrigué, Bruno se fraya un chemin jusqu’à l’endroit que Tresi observait avec tant d’insistance. Il découvrit un petit coffret en bois sculpté, orné de motifs celtiques, à moitié caché sous une pile de vieux magazines.
Le coffret n’était pas fermé à clé. À l’intérieur, sur un coussin de velours usé, reposait un médaillon en argent terni. Bruno le prit délicatement entre ses doigts. Le pendentif représentait un ange aux ailes déployées, tenant ce qui semblait être une boussole.
« Qu’est-ce que tu as trouvé ? » Isabelle, sa sœur de seize ans, venait d’apparaître en haut de l’échelle du grenier. Ses longs cheveux blonds encadraient son visage aux traits fins, et ses vêtements bohèmes lui donnaient l’air d’une fée moderne.
« Un médaillon, » répondit Bruno sans quitter l’objet des yeux. « Il est magnifique. »
Isabelle s’approcha et examina la trouvaille.
« On dirait qu’il y a quelque chose gravé derrière, » dit-elle en retournant le médaillon.
Effectivement, des mots en minuscules caractères y étaient inscrits: « Ker Izella, là où les rêves prennent forme ».
Bruno sentit un frisson parcourir sa colonne vertébrale. Ker Izella… un nom breton. Comme un signe.
Un nouveau coup de tonnerre, plus proche cette fois, fit sursauter Tresi qui se mit à aboyer frénétiquement. La lumière vacilla dans le grenier, puis s’éteignit complètement.
« Super, » soupira Isabelle. « Une panne de courant. »
Mais Bruno ne l’écoutait plus. Dans sa main, le médaillon s’était mis à luire d’une étrange lumière bleutée. Il dégageait une chaleur douce, rassurante.
Soudain, un rayon de lumière jaillit du médaillon et projeta sur le mur du grenier l’image d’un village côtier battu par les vagues. Des maisons de pierre grise aux toits d’ardoise, un petit port, une chapelle sur la falaise. Et tout autour, une aura mystérieuse, comme si l’image était vivante.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? » s’exclama Isabelle, les yeux écarquillés.
Même Tresi s’était tue, observant l’apparition avec une attention presque humaine.
La projection changea, montrant maintenant une maison particulière, nichée entre deux rochers, face à la mer. Une maison qui semblait appeler Bruno.
« C’est Ker Izella, » murmura-t-il, certain de son intuition. « C’est là que je dois aller. »
L’image s’estompa progressivement, mais la conviction de Bruno, elle, venait de s’ancrer profondément en lui.
Quand la lumière revint dans le grenier, quelques secondes plus tard, Marie-Lou les appelait pour le dîner. Bruno glissa discrètement le médaillon dans sa poche, déterminé à en percer le mystère.
Ce soir-là, allongé sur son lit, il contemplait le médaillon à la lueur de sa lampe de chevet. Tresi dormait paisiblement au pied du lit. Dehors, l’orage s’était calmé.
« Ker Izella, » chuchota Bruno, comme une invocation.
À cet instant, une brume légère commença à s’infiltrer sous sa porte, remplissant peu à peu la chambre. Bruno se redressa, soudain inquiet. La brume prit forme, se condensant en une silhouette vaporeuse.
« Qui… qui êtes-vous ? » balbutia-t-il.
La silhouette brumeuse s’approcha. Deux yeux d’un bleu profond se distinguèrent dans ce qui semblait être un visage.
« Je suis celui qui veille sur tes rêves, Bruno, » répondit une voix à la fois proche et lointaine. « Celui qui s’assure qu’ils restent… des rêves. »
Bruno sentit le médaillon se refroidir brusquement dans sa main.
« La Bretagne est un beau rêve, n’est-ce pas ? » poursuivit la silhouette. « Pourquoi risquer de le gâcher en essayant de le réaliser ? N’es-tu pas mieux ici, dans le confort et la sécurité ? »
Les paroles trouvaient un écho troublant dans les pensées secrètes de Bruno. Ses doutes, ses peurs.
« Qui êtes-vous vraiment ? » insista-t-il, serrant le médaillon contre lui.
La silhouette s’inclina dans un mouvement fluide, sa cape brumeuse ondulant comme des vagues.
« Je suis Le Fantôme de l’Hésitation, gardien du statu quo, protecteur des zones de confort. Et ce médaillon que tu tiens… il ne t’apportera que des ennuis. »
Le fantôme tendit une main vaporeuse vers le médaillon, mais Tresi, réveillée, se mit à grogner férocement. La silhouette recula.
« Nous nous reverrons, Bruno, » murmura-t-elle en se dissipant. « Tes rêves sont en sécurité avec moi… tant qu’ils restent des rêves. »
Quand la brume se fut complètement évaporée, Bruno remarqua que le médaillon brillait à nouveau, plus intensément. Et dans le miroir de sa chambre, il crut apercevoir, l’espace d’un instant, le reflet non pas de sa chambre parisienne, mais d’une pièce inconnue, avec vue sur l’océan.
Le médaillon vibra légèrement contre sa paume. Un message semblait s’inscrire dans son esprit : « Le portail entre les mondes ne restera pas ouvert éternellement. Tu as jusqu’à la prochaine pleine lune pour choisir. »
Bruno regarda le calendrier sur son bureau. La pleine lune était dans exactement deux semaines.
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 78