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La lumière verte enveloppa Julie alors qu’elle traversait le portail. Elle ferma les yeux, sentant une chaleur agréable sur son visage, et quand elle les rouvrit, elle se tenait au milieu d’une jungle luxuriante. Des arbres immenses s’élevaient vers un ciel qu’on apercevait à peine à travers la canopée. Des lianes pendaient comme des guirlandes vertes, et partout autour d’elle, des fleurs aux couleurs éclatantes s’épanouissaient.

« Choupette? » appela Julie, sa voix légèrement tremblante. « Où es-tu? »

Les bruits de la jungle l’entouraient – pépiements d’oiseaux exotiques, bourdonnements d’insectes, et bruissements mystérieux provenant des fourrés. Malgré sa timidité naturelle, Julie sentait monter en elle une curiosité irrésistible. Elle fit quelques pas sur le sol spongieux couvert de mousse, ses taches de rousseur semblant briller davantage dans cette lumière verdâtre.

« Miaou! » Un son familier attira son attention.

Julie se retourna et laissa échapper un petit cri de surprise. Là, assis sur une large feuille, se trouvait un chat… mais pas tout à fait Choupette comme elle la connaissait. Son petit chaton roux avait maintenant la taille d’un grand chat sauvage, sa fourrure brillait comme de l’ambre sous le soleil, et autour de son cou s’enroulait ce qui ressemblait à une liane fleurie formant un collier naturel.

« Choupette? C’est vraiment toi? » murmura Julie, les yeux écarquillés.

Le félin s’approcha d’elle et frotta sa tête contre sa jambe, exactement comme le faisait Choupette à la maison. Ses yeux étaient toujours les mêmes – verts et pétillants d’intelligence.

« C’est bien moi, Julie, » répondit une voix douce et féminine.

Julie recula d’un pas, stupéfaite. « Tu… tu parles? »

« Dans ce monde, oui, » ronronna Choupette. « Ici, tout est différent. Ici, la jungle est vivante d’une façon que les humains ont oublié. »

Avant que Julie ne puisse poser une autre question, un craquement retentit derrière elles. Les buissons s’écartèrent pour laisser apparaître… Martin?

Son grand frère se tenait là, mais comme Choupette, il était transformé. Ses vêtements habituels avaient été remplacés par ce qui ressemblait à une armure légère faite de feuilles et d’écorce. Ses cheveux semblaient plus ébouriffés que jamais, comme si un vent permanent les soulevait. Et à sa ceinture, au lieu de sa console de jeux, pendait une sorte de petite gourde brillante.

« Martin? » balbutia Julie. « Comment… pourquoi es-tu ici? »

Martin fronça les sourcils, semblant aussi confus qu’elle. « Julie? C’est vraiment toi? Comment as-tu trouvé le chemin de la Jungle Émeraude? »

« La Jungle Émeraude? »

« C’est comme ça qu’on appelle cet endroit, » expliqua-t-il en s’approchant. « J’y viens depuis des semaines. C’est… c’est mon secret. »

Julie n’en croyait pas ses oreilles. Martin, son frère qui passait ses journées devant des écrans, avait un passage secret vers une jungle magique?

« Je ne comprends pas, » dit-elle. « Tu détestes la nature. Tu te moques toujours quand je parle des animaux en voie de disparition. »

Une ombre passa sur le visage de Martin. « C’est… compliqué. Dans notre monde, je fais semblant de m’en ficher. C’est plus facile que d’avoir peur tout le temps, comme… »

« Comme moi? » compléta Julie, soudain blessée.

Martin haussa les épaules, mal à l’aise. « Écoute, on n’a pas le temps pour ça. Si tu es ici, c’est que Brumaléo t’a trouvée aussi. C’est dangereux, Julie. Il faut que je t’emmène voir Myrielle. »

« Maman est ici aussi? » s’exclama Julie, de plus en plus perdue.

Choupette émit un ronronnement qui ressemblait à un rire. « Pas exactement ta mère, petite Julie. Mais tu comprendras bientôt. »

Martin fit signe à Julie de le suivre, et ils s’enfoncèrent plus profondément dans la jungle. Choupette bondissait gracieusement à leurs côtés, ses pattes ne faisant presque aucun bruit sur le sol forestier. Après quelques minutes de marche, ils arrivèrent dans une clairière baignée de lumière.

Au centre se dressait un arbre immense, plus grand que tous ceux que Julie avait vus jusqu’alors. Son tronc était si large que dix personnes se tenant par la main n’auraient pas pu l’entourer. Ses branches s’étendaient comme un toit vivant au-dessus de la clairière, et ses racines émergeaient du sol avant de s’y replonger, formant des arches naturelles.

Et devant cet arbre majestueux se tenait une femme qui ressemblait étrangement à sa mère. Mais cette version de Myrielle avait des cheveux plus longs qui semblaient se mêler à des feuilles et des fleurs. Sa peau avait une légère teinte verdâtre, et elle portait une robe faite de ce qui semblait être des pétales et des feuilles tissés ensemble.

« Bienvenue, Julie, » dit la femme d’une voix qui évoquait le murmure du vent dans les feuilles. « Je suis Sylviane, gardienne de l’Arbre-Mère. »

« Vous… vous ressemblez tellement à ma maman, » murmura Julie.

Sylviane sourit. « Ce n’est pas par hasard. Dans ton monde, Myrielle préserve la vie à sa façon. Ici, je fais de même, mais avec des pouvoirs plus… visibles. »

Soudain, le sol trembla légèrement sous leurs pieds. Le visage de Martin s’assombrit. « Il arrive, » dit-il en dégainant ce qui semblait être une dague faite de cristal vert.

« Qui arrive? » demanda Julie, sentant la peur monter en elle.

« Brumaléo, » répondit Sylviane, son visage devenant grave. « Il a dû te suivre à travers le portail. »

Comme pour confirmer ses paroles, une brume noire commença à s’infiltrer entre les arbres qui entouraient la clairière. Les fleurs se fanèrent sur son passage, et les oiseaux s’envolèrent en poussant des cris d’alarme.

« Ah, la petite Julie, » résonna la voix crépitante de Brumaléo. « Tu croyais m’échapper? Tu as seulement conduit mon désespoir dans un nouveau monde à corrompre! »

La brume noire s’épaissit, prenant la forme vaguement humanoïde que Julie avait vue dans sa chambre, mais plus grande, plus menaçante. Les yeux rouges brillaient comme des braises, fixés sur elle.

« Ne l’écoute pas, » dit Sylviane en s’approchant de Julie. « Ton pouvoir l’effraie. C’est pour ça qu’il est ici – pour t’empêcher de découvrir ce que tu peux vraiment faire. »

« Mon pouvoir? » Julie regarda ses mains, se souvenant de la lueur verte qui en avait émané quand elle avait touché sa plante mourante.

« Tu as le don de raviver la nature, Julie, » expliqua Sylviane. « C’est rare, même ici. Tu peux restaurer ce que Brumaléo détruit. »

« Mensonges! » rugit Brumaléo. « Montre-lui la vérité, Sylviane. Montre-lui les parties de la jungle qui sont déjà perdues! »

Sylviane hésita, puis hocha lentement la tête. « Il est temps que tu voies, en effet. »

Elle guida Julie vers l’Arbre-Mère et posa sa main contre l’écorce. Une ouverture apparut, révélant un escalier qui s’enfonçait dans le tronc. Ils descendirent, suivis par Martin et Choupette, tandis que Brumaléo restait à l’extérieur, incapable d’entrer dans cet espace sacré.

À l’intérieur, l’arbre était creux, formant une salle circulaire immense. Et au centre se trouvait quelque chose qui fit hoqueter Julie de stupeur : une projection, comme un hologramme, montrant différentes parties de la jungle. Certaines étaient luxuriantes et pleines de vie, mais d’autres… d’autres étaient grises, flétries, sans vie.

« La Jungle Émeraude est liée à ton monde, Julie, » expliqua Sylviane. « Chaque forêt qui disparaît là-bas affecte une partie de notre monde ici. Et Brumaléo gagne en force à chaque nouvelle destruction. »

« Alors il a raison? » murmura Julie, les larmes aux yeux. « C’est sans espoir? »

« Non, » intervint Martin avec une fermeté qui surprit Julie. « Ce n’est pas sans espoir. Regarde. »

Il pointa du doigt une section de la projection où une petite zone grise commençait à reverdir légèrement sur les bords.

« C’est une forêt en Indonésie où des gens comme Maman ont commencé un projet de reforestation, » expliqua-t-il. « Ça marche, Julie. Lentement, mais ça marche. »

Julie s’approcha de la projection, fascinée. Puis elle tendit la main, par instinct, et toucha la zone grisâtre juste à côté de celle qui reverdissait. Une lueur verte émana de ses doigts, exactement comme dans sa chambre. Mais cette fois, l’effet fut plus spectaculaire : la zone grise commença à pulser de vie, des points verts apparaissant comme des étoiles dans un ciel sombre.

« C’est incroyable! » s’exclama Martin.

Mais l’effort était intense. Julie sentit une fatigue soudaine l’envahir, et elle chancela. La lueur verte s’estompa, et la zone grise reprit presque entièrement son aspect désolé, ne conservant que quelques points verts épars.

« Je… je n’y arrive pas, » haleta Julie, déçue. « Ce n’est pas assez. »

« Tu viens juste de découvrir ton don, » dit doucement Sylviane en posant une main réconfortante sur son épaule. « Avec le temps et de l’entraînement, tu pourras faire bien plus. »

Un craquement sinistre retentit au-dessus d’eux, faisant trembler l’Arbre-Mère.

« Brumaléo attaque! » s’écria Martin. « Il a dû sentir le pouvoir de Julie! »

Ils remontèrent précipitamment l’escalier. Dans la clairière, la scène était chaotique. La brume noire de Brumaléo s’était épaissie, formant maintenant un tourbillon qui encerclait l’Arbre-Mère. Les plantes alentour se flétrissaient à vue d’œil.

« Tu ne peux pas me vaincre, petite fille, » gronda Brumaléo. « Ton pouvoir est trop faible, trop nouveau. La destruction est déjà trop avancée! »

Emportée par un élan de courage qu’elle ne se connaissait pas, Julie s’avança. « Je ne te laisserai pas détruire cet endroit comme tu essaies de détruire mon espoir! »

Elle tendit les mains, cherchant à reproduire ce qu’elle avait fait à l’intérieur de l’arbre. Une faible lueur verte apparut autour de ses doigts, mais presque immédiatement, Brumaléo lança vers elle une vague de brume noire qui la fit trébucher et tomber en arrière.

« Julie! » cria Martin en se précipitant pour l’aider à se relever.

La brume noire s’intensifia, se rapprochant d’eux comme un mur de désespoir. Julie sentit le froid l’envahir, et avec lui revinrent toutes ses peurs, toutes ses angoisses sur l’avenir de la planète.

« C’est inutile, » murmurait la voix de Brumaléo dans sa tête. « Tu es seule. Tu es impuissante. Le monde se meurt, et rien ne peut l’arrêter. »

Julie commençait à croire ces mots, quand soudain Choupette bondit à ses côtés, son pelage roux brillant comme une flamme dans l’obscurité grandissante.

« Tu n’es pas seule, Julie, » dit le félin, ses yeux verts étincelants. « Et tu n’es certainement pas impuissante. »

À cet instant, un éclair de lumière dorée traversa la clairière, repoussant momentanément la brume noire. Une silhouette émergea de la forêt – un jeune garçon à la peau sombre et aux cheveux tressés, portant une tunique tissée de fils lumineux et tenant à la main ce qui ressemblait à un bâton surmonté d’un cristal vert.

« Heureusement que je passais par là, » dit-il avec un sourire en coin. « Il semblerait que vous ayez besoin d’aide. »

« Noko! » s’exclama Martin, visiblement soulagé. « Juste à temps! »

Le garçon – Noko – pointa son bâton vers Brumaléo, et un rayon de lumière en jaillit, repoussant davantage la brume noire qui se retira en sifflant de rage.

« Ceci n’est qu’un répit, » gronda Brumaléo alors que sa forme se dissipait temporairement. « Je reviendrai, et la prochaine fois, ton petit tour de lumière ne suffira pas, Noko! »

Puis la brume se dissipa complètement, laissant la clairière dans un silence soudain. Les plantes qui avaient été touchées par Brumaléo pendaient tristement, flétries et grises.

Noko s’approcha de Julie et lui tendit la main pour l’aider à se relever. « Alors c’est toi la nouvelle Verdoyante dont tout le monde parle? Tu es plus jeune que ce que j’imaginais. »

« Une… Verdoyante? » répéta Julie, confuse.

« C’est ainsi que nous appelons ceux qui ont le don de raviver la nature, » expliqua Sylviane en s’approchant. « Et Noko est un Luminescent – il maîtrise la lumière qui repousse les ténèbres de Brumaléo. »

Julie regarda autour d’elle, observant les dégâts causés par Brumaléo. « Je n’ai pas pu l’arrêter. J’ai essayé, mais… mon pouvoir n’était pas assez fort. »

« Personne ne s’attend à ce que tu maîtrises ton don en un jour, » dit doucement Noko. « J’ai mis des années à apprendre à utiliser le mien correctement. »

« Des années? » Julie sentit son cœur se serrer. « Mais on n’a pas des années! Vous avez vu ce qu’il fait à la jungle! »

Sylviane s’agenouilla pour être à la hauteur de Julie. « C’est vrai, le temps presse. Mais tu n’es pas seule dans ce combat, Julie. Et parfois, ce n’est pas la force qui compte le plus, mais la connaissance. »

« Que veux-tu dire? » demanda Julie.

« Brumaléo n’a pas toujours été ainsi, » dit Sylviane. « Il y a un secret, une vérité sur lui que peu connaissent. Et je crois que c’est la clé pour l’aider – et peut-être même le sauver. »

« Le sauver? » s’exclama Martin, incrédule. « Pourquoi voudrions-nous sauver celui qui détruit la jungle? »

Sylviane se releva, son regard grave. « Parce que tout est connecté, Martin. La destruction et la guérison, le désespoir et l’espoir. Brumaléo fait partie de l’équilibre, même s’il l’a oublié. »

Elle se tourna vers Julie. « Tu as montré du courage aujourd’hui, jeune Verdoyante. Mais ton voyage ne fait que commencer. Es-tu prête à apprendre? À découvrir le véritable pouvoir de l’espoir? »

Julie regarda tour à tour Sylviane, Martin, Noko et Choupette. Puis elle observa ses mains, se souvenant de la lueur verte qui en avait émané. Malgré son échec face à Brumaléo, malgré sa peur, elle sentait quelque chose de nouveau naître en elle – une détermination qu’elle n’avait jamais connue auparavant.

« Je suis prête, » dit-elle finalement, sa voix plus assurée qu’elle ne l’avait jamais été. « Apprenez-moi comment sauver la jungle. »

Noko sourit et tendit son bâton lumineux vers elle. « Alors ta formation commence maintenant, Verdoyante Julie. »

Et tandis que le soleil commençait à décliner sur la Jungle Émeraude, éclairant les feuilles d’une lueur dorée, Julie comprit qu’elle venait d’entrer dans une aventure plus grande que tout ce qu’elle aurait pu imaginer. Une aventure où son amour pour la nature pourrait peut-être, vraiment, faire toute la différence.

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