Le soleil se levait à peine sur la vallée d’Harmonia, ses rayons timides illuminant la chambre de Cylia. La jeune fille n’avait presque pas dormi, son esprit tourmenté par les événements de la veille et par l’étrange éclat violet qui scintillait désormais dans sa main.
L’éclat de cristal était chaud au toucher, pulsant doucement comme un petit cœur. Cylia l’observa attentivement : contrairement aux fragments bleu clair et bleu foncé que possédait la Reine Divisionnaire, celui-ci brillait d’une teinte violette profonde, comme si les deux autres couleurs s’étaient mélangées.
« Cylia, le petit-déjeuner est prêt ! » appela sa mère depuis la cuisine.
Rapidement, elle glissa le fragment dans la poche intérieure de son sac à dos bleu et descendit les escaliers. La maison était étrangement silencieuse malgré la présence de toute sa famille.
Dans la cuisine, sa mère Diana s’affairait, ses longs cheveux châtains attachés en un chignon désordonné. Des cernes marquaient son visage habituellement souriant. Elle portait encore sa robe de chambre bleue, ce qui était inhabituel – Diana était toujours impeccablement habillée avant même que le soleil ne se lève complètement.
« Bonjour, ma chérie, » dit-elle en déposant un bol de céréales devant Cylia. « As-tu bien dormi ? »
Avant que Cylia ne puisse répondre, sa petite sœur Suzie entra en trombe dans la cuisine, ses boucles blondes rebondissant autour de son visage poupin. Contrairement à Cylia qui avait hérité des traits de son père, Suzie était le portrait craché de leur mère.
« J’ai fait un rêve bizarre ! » annonça Suzie en grimpant sur sa chaise. « Le ciel était coupé en deux ! »
Diana et Cylia échangèrent un regard lourd de sens.
« Ce n’était qu’un rêve, ma puce, » murmura Diana en caressant les cheveux de sa cadette.
La porte de la cuisine s’ouvrit et Yvan, le père de Cylia, entra. Grand et mince, il avait les mêmes cheveux bruns foncés que sa fille aînée et les mêmes yeux expressifs, bien que les siens semblaient aujourd’hui fatigués et rougis. Il portait déjà sa tenue de travail, comme s’il voulait prétendre que tout était normal.
« Bonjour tout le monde, » dit-il d’une voix qui se voulait enjouée mais sonnait faux.
Cylia remarqua que ses parents évitaient soigneusement de se regarder. L’atmosphère était si tendue qu’elle pouvait presque la toucher.
« Papa, tu as entendu ce que la Reine a dit hier ? » demanda-t-elle, espérant briser ce silence insupportable. « Est-ce qu’on va vraiment devoir choisir entre l’Est et l’Ouest ? »
Yvan s’assit lourdement et prit une gorgée de café avant de répondre.
« Nous devons parler de cela, oui. Mais pas maintenant. D’abord, l’école. »
« Mais comment peut-on aller à l’école comme si de rien n’était alors que tout notre monde va être divisé ? » protesta Cylia.
« Cylia, » intervint sa mère d’un ton qui n’admettait pas de réplique, « ton père a raison. D’abord l’école. Nous parlerons de tout cela ce soir. »
Le trajet jusqu’à l’école se fit dans un silence inhabituellement pesant. D’ordinaire, Cylia et Suzie bavardaient sans cesse, mais aujourd’hui, même la petite Suzie semblait percevoir que quelque chose n’allait pas.
Arrivée devant l’école, Cylia aperçut Romain qui l’attendait près du grand chêne de la cour. Son ami, avec sa tignasse rousse flamboyante et son éternel sourire, était un rayon de soleil dans cette journée sombre. Grand pour son âge, il dépassait Cylia d’une bonne tête et demie. Aujourd’hui, il portait son maillot de foot favori – celui de l’équipe d’Harmonia, ornée du cristal bleu sur la poitrine.
« Cylia ! » s’exclama-t-il en la voyant. « Je t’ai attendue ! Tu ne devineras jamais ce que j’ai entendu ! »
Mais avant que Romain ne puisse continuer, la cloche sonna, signalant le début des cours. Ils se précipitèrent à l’intérieur, promettant de se retrouver à la récréation.
La matinée passa comme dans un brouillard. Cylia n’arrivait pas à se concentrer, son esprit sans cesse attiré par le fragment violet dans son sac et par les paroles de la Reine Divisionnaire.
Lors de la récréation, elle retrouva enfin Romain près des balançoires.
« Alors, qu’est-ce que tu voulais me dire ? » demanda-t-elle, soulagée de pouvoir enfin parler librement.
Romain se pencha vers elle, baissant la voix.
« Mon père dit que la Reine Divisionnaire n’est pas notre vraie reine. Il dit que c’est une usurpatrice et qu’elle a enfermé la véritable Reine Harmonia quelque part. »
Les yeux de Cylia s’écarquillèrent. « Vraiment ? Mais comment le sait-il ? »
« Il travaille au palais, tu te souviens ? Il a dit que tout a changé il y a une semaine, quand un étrange nuage noir et blanc est apparu au-dessus de la salle du trône. Et puis… »
Romain s’interrompit brusquement, son regard fixé sur quelque chose par-dessus l’épaule de Cylia. Elle se retourna et vit deux gardes royaux qui s’avançaient dans la cour de l’école. Leurs uniformes, autrefois entièrement bleus et or, étaient désormais divisés – l’un portait du bleu clair et or, l’autre du bleu foncé et argent.
« Ils viennent faire quoi ici ? » murmura Romain.
La directrice de l’école s’approcha des gardes, visiblement nerveuse. Après un bref échange, elle se tourna vers les élèves rassemblés dans la cour.
« Mes chers enfants, par ordre de Sa Majesté la Reine Divisionnaire, l’école sera également séparée en deux sections à partir de demain. Les élèves dont les familles choisiront l’Est seront dans l’aile Est, ceux de l’Ouest dans l’aile Ouest. En attendant que vos parents décident, vous pouvez tous assister aux cours dans les deux ailes. »
Un murmure de confusion parcourut la cour. Cylia sentit son cœur se serrer. Et si Romain et elle se retrouvaient dans des ailes différentes ? Et si leurs parents choisissaient des royaumes différents ?
« Ce n’est pas juste ! » s’écria-t-elle soudain, incapable de contenir sa frustration. « Pourquoi doit-on nous séparer ? Nous sommes tous amis ! »
Un des gardes se tourna vers elle, son regard dur sous son casque divisé en deux couleurs.
« Qui a parlé ? » demanda-t-il d’une voix glaciale.
Les enfants s’écartèrent, laissant Cylia seule face aux gardes.
« C’est moi, » dit-elle, sa voix tremblant légèrement malgré sa détermination. « Je ne comprends pas pourquoi la vallée doit être divisée. Nous avons toujours vécu ensemble en harmonie. »
Le garde s’approcha, menaçant. « Par ordre de la Reine, toute opposition au Grand Partage est considérée comme une trahison. »
Cylia recula, soudain effrayée. Qu’avait-elle fait ?
Mais à cet instant, quelque chose d’étrange se produisit. Le fragment de cristal dans son sac se mit à briller intensément, visible même à travers le tissu. Les gardes s’immobilisèrent, leurs yeux fixés sur le sac à dos bleu de Cylia.
« Elle possède un fragment du Cristal ! » s’exclama l’un d’eux. « Saisissez-la ! »
Cylia recula davantage, mais les gardes avançaient inexorablement. Elle était piégée, dos au mur de l’école.
« Laissez-la tranquille ! » cria Romain en se plaçant devant elle, mais un des gardes le poussa sans ménagement.
Au moment où tout semblait perdu, une voix forte retentit depuis l’entrée de la cour.
« Gardes ! Au nom de quel droit menacez-vous une enfant dans une école ? »
Un homme âgé s’avançait vers eux. Grand et mince, avec une longue barbe blanche et des yeux d’un bleu si intense qu’ils semblaient briller de l’intérieur, il portait une longue robe qui, contrairement à tout ce qu’on voyait désormais dans la vallée, n’était pas divisée en deux couleurs mais arborait toutes les nuances du bleu, se fondant harmonieusement les unes dans les autres.
« Maître Elian, » murmura l’un des gardes, soudain moins assuré. « Nous suivons les ordres de la Reine. Cette fille possède un fragment du Cristal d’Harmonia. »
« Et en quoi cela justifie-t-il de terroriser une enfant ? » demanda Elian en s’approchant. Il posa une main protectrice sur l’épaule de Cylia. « Je me porte garant de cette jeune fille. Si Sa Majesté a des questions, elle peut me les adresser directement. »
Les gardes hésitèrent, puis finalement s’inclinèrent légèrement.
« Très bien, Maître Elian. Mais la Reine sera informée. »
Puis ils tournèrent les talons et quittèrent la cour de l’école. Les enfants, qui avaient retenu leur souffle, éclatèrent en murmures excités.
« Merci, monsieur, » balbutia Cylia, reconnaissante mais confuse. « Mais… qui êtes-vous ? »
L’homme sourit, des rides bienveillantes apparaissant au coin de ses yeux.
« Je suis Elian, l’ancien Gardien du Cristal d’Harmonia. Et toi, jeune fille, tu as quelque chose qui m’intéresse grandement. »
Son regard se posa sur le sac à dos de Cylia, où la lueur violette avait maintenant disparu.
« Viens me voir après l’école, » murmura-t-il. « Au vieux moulin près de la rivière Argentée. Et… » il hésita, jetant un regard à Romain qui s’était rapproché, « tu peux amener ton ami si tu lui fais confiance. Mais personne d’autre. Ce que tu possèdes est plus précieux que tu ne peux l’imaginer. »
Puis il s’éloigna, sa longue robe bleue ondulant comme l’eau de la rivière Argentée sous le soleil.
Cylia et Romain échangèrent un regard stupéfait.
« Tu as vraiment un morceau du Cristal ? » chuchota Romain, les yeux écarquillés.
Cylia hocha lentement la tête. « Je l’ai trouvé hier soir… Il est apparu sur le rebord de ma fenêtre. Et regarde… »
Elle sortit discrètement son carnet et montra à Romain l’inscription mystérieuse : « Seule la Gardienne des Liens peut retrouver le troisième fragment et restaurer l’harmonie perdue. »
« Cylia… » murmura Romain, impressionné. « Tu crois que c’est de toi que ça parle ? Que tu es cette Gardienne ? »
Avant qu’elle ne puisse répondre, la cloche sonna à nouveau, signalant la fin de la récréation.
« On se retrouve après l’école, » décida Cylia. « On ira voir ce Maître Elian ensemble. »
Mais alors qu’ils retournaient en classe, Cylia ne pouvait s’empêcher de se demander : était-elle vraiment cette mystérieuse Gardienne des Liens ? Et si oui, comment une simple fille de neuf ans pourrait-elle s’opposer à la puissante Reine Divisionnaire et réunir un cristal magique brisé – alors que sa propre famille semblait sur le point de se briser aussi ?
— ⭐ —
L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 81
