« Dame Carmina, » commença Charlye, les mains légèrement tremblantes autour du petit miroir, « j’aimerais comprendre pourquoi vous êtes apparue dans ma vie et ce que vous attendez exactement de moi. »
Le visage de la femme en rouge s’adoucit, prenant une expression presque maternelle.
« Ma chère enfant, j’apparais à toutes les jeunes filles au moment de leur transformation. J’ai eu mille noms à travers les âges et les cultures, mais mon essence reste la même : je suis la gardienne du passage, celle qui guide les filles vers leur pouvoir féminin. »
« Mais pourquoi de façon si… publique? » insista Charlye. « Ce matin, vous avez failli me transformer en spectacle devant toute l’école! »
Dame Carmina pencha la tête, semblant sincèrement perplexe.
« Dans mon temps, l’arrivée des premières lunes était célébrée avec fierté. Les jeunes filles étaient honorées, respectées pour leur nouveau pouvoir. La communauté entière participait aux rituels de passage. »
« Votre temps? » questionna Charlye. « Quand était-ce exactement? »
Le rire cristallin de Dame Carmina résonna dans la chambre.
« Oh, ma chère, le temps n’a pas le même sens pour moi que pour vous. J’ai existé quand les femmes dansaient sous la lune, vêtues de rouge en l’honneur du sang sacré. J’étais là quand les mères initiaient leurs filles aux mystères féminins dans des huttes spéciales. J’ai vu des époques où les règles étaient célébrées comme une bénédiction des déesses, et d’autres où elles étaient considérées comme une malédiction à cacher. »
Charlye réfléchit à ces paroles. L’idée que les règles aient pu être célébrées publiquement lui semblait totalement étrangère.
« Les choses sont différentes maintenant, » expliqua-t-elle doucement. « Ce n’est pas que nous ayons honte de nos corps ou de ce qui est naturel. C’est juste que… c’est considéré comme quelque chose de privé. Comme se brosser les dents ou prendre une douche – des choses normales, mais qu’on ne fait pas en public. »
Dame Carmina fronça légèrement les sourcils, semblant méditer sur cette explication.
« Je vois, » dit-elle lentement. « Les temps changent, en effet. Mais dis-moi, Charlye, pourquoi as-tu si honte de ce qui t’est arrivé avec ce garçon, Nicolas? »
Charlye sentit ses joues s’empourprer à la mention de son nom.
« C’était embarrassant! J’avais une tache sur mon pantalon, et tout le monde pouvait la voir. Nicolas pouvait la voir. »
« Et alors? » demanda simplement Dame Carmina. « Crois-tu qu’il te juge pour quelque chose que toutes les femmes vivent? »
« Je… je ne sais pas, » admit Charlye. « Mais les garçons de mon âge peuvent être immatures avec ce genre de choses. »
« Hmm, » fit Dame Carmina en tapotant son menton d’un doigt élégant. « Peut-être devrais-tu lui donner une chance de te montrer sa vraie nature? S’il est vraiment spécial, comme ton cœur semble le croire, il pourrait te surprendre. »
Charlye baissa les yeux vers le bracelet écarlate qui luisait doucement contre sa peau.
« Est-ce que vous pourriez… être moins démonstrative en public? » demanda-t-elle. « Je veux bien apprendre ce que vous avez à m’enseigner, mais je préférerais le faire en privé. »
Dame Carmina sembla considérer cette demande, ses yeux brillant d’une lueur mystérieuse.
« Un compromis, alors, » proposa-t-elle finalement. « Je respecterai ton besoin d’intimité, à condition que tu n’aies pas honte de ce que tu es en train de devenir. Le bracelet restera avec toi jusqu’à ce que tu acceptes pleinement ta transformation, non seulement dans ton esprit, mais aussi dans ton cœur. »
« Comment saurez-vous quand ce sera le cas? »
« Le bracelet le saura, » sourit Dame Carmina. « Il est lié à ton essence même. »
Charlye hocha lentement la tête. « D’accord. Et que dois-je faire exactement pour… apprendre de vous? »
« Pour commencer, fabrique un bracelet, » dit Dame Carmina. « Un qui représente ce que tu ressens vraiment à propos de ta transformation. Utilise tes talents, Charlye. Les mains créent ce que l’esprit ne peut pas toujours exprimer. »
Avant que Charlye ne puisse poser une autre question, l’image de Dame Carmina commença à s’estomper dans le miroir.
« Nous reparlerons bientôt, ma chère. Et n’oublie pas – le pouvoir du sang est un don, pas une malédiction. »
Le miroir redevint normal, ne reflétant plus que le visage pensif de Charlye.
Le lendemain matin, Charlye se sentait étrangement légère en se préparant pour l’école. Sa conversation avec Dame Carmina avait apaisé certaines de ses craintes, même si elle restait prudente. Le bracelet écarlate semblait plus calme aujourd’hui, luisant doucement sans émettre de chaleur excessive.
Elle avait passé une partie de la soirée à créer un nouveau bracelet, suivant le conseil de Dame Carmina. Elle avait choisi avec soin des fils aux couleurs variées : rouge pour le sang et la passion, blanc pour la pureté et la nouveauté, bleu pour le calme et la sérénité, et un fil doré pour la force intérieure. Le résultat était un bracelet tressé complexe, à la fois beau et personnel.
En arrivant à l’école, elle le portait fièrement à son poignet droit, tandis que le bracelet écarlate et celui de Mamie Rose ornaient son poignet gauche.
Léa l’attendait près des casiers, curieuse de savoir comment s’était passée sa conversation avec Dame Carmina.
« Mieux que prévu, » admit Charlye. « On a trouvé une sorte de compromis. Elle a promis d’être moins… théâtrale en public. »
« Super! » s’exclama Léa. « Et ce bracelet, c’est nouveau? »
Charlye lui montra sa création. « Dame Carmina m’a suggéré de fabriquer un bracelet qui représente ce que je ressens à propos de… tu sais, devenir une femme. »
Léa examina le bracelet avec admiration. « Il est magnifique. Tu as toujours eu un don pour ça. »
Leur conversation fut interrompue par l’arrivée de Nicolas. Il s’arrêta devant elles, son sac à dos négligemment jeté sur une épaule, ses écouteurs autour du cou comme toujours.
« Salut Charlye, salut Léa, » dit-il avec un sourire.
Charlye sentit son cœur s’accélérer et le bracelet écarlate chauffer légèrement, mais sans l’éclat spectaculaire de la veille.
« Salut Nicolas, » répondit-elle, surprise par la stabilité de sa voix.
« Je voulais te demander… Est-ce que ça va? Hier, dans la cour, il y avait cette espèce de… je ne sais pas… brume rouge autour de toi. »
Charlye sentit ses joues s’empourprer. « Oh, ça… C’était… »
« Un tour de magie qui a mal tourné, » intervint promptement Léa. « Charlye s’intéresse à la prestidigitation ces derniers temps. »
Nicolas haussa les sourcils, impressionné. « Vraiment? C’est cool! J’adore la magie. »
Charlye lança un regard reconnaissant à son amie avant de se tourner vers Nicolas avec un sourire timide.
« Je débute encore. Ce n’était pas censé être aussi… visible. »
Nicolas rit. « Eh bien, c’était impressionnant. Tu pourrais me montrer d’autres tours un jour? »
Le bracelet écarlate palpita doucement contre la peau de Charlye, comme pour l’encourager.
« Pourquoi pas? » répondit-elle, surprise par sa propre audace. « Tu fais quelque chose après les cours aujourd’hui? »
Les yeux de Nicolas s’illuminèrent. « Non, je suis libre. On pourrait aller au parc? »
« Parfait, » acquiesça Charlye, sentant une vague d’excitation mêlée d’appréhension.
Nicolas lui sourit une dernière fois avant de se diriger vers sa classe. Dès qu’il fut hors de portée de voix, Léa se tourna vers Charlye avec un grand sourire.
« Tu viens de proposer un rendez-vous à Nicolas! Je suis tellement fière de toi! »
« Ce n’est pas un rendez-vous, » protesta faiblement Charlye. « C’est juste… je ne sais même pas ce que c’est. Et maintenant je dois apprendre des tours de magie avant cet après-midi! »
Léa éclata de rire. « Ou tu pourrais simplement lui dire la vérité. »
« Quelle vérité? Que j’ai un bracelet magique et une déesse des règles qui me suit partout? » Charlye secoua la tête. « Il me prendrait pour une folle. »
Le bracelet écarlate chauffa soudainement, et la voix de Dame Carmina résonna doucement dans l’esprit de Charlye : « Ne sous-estime pas ce garçon, ma chère. Parfois, la vérité est plus puissante que n’importe quel tour de magie. »
Charlye sursauta, regardant autour d’elle pour s’assurer que personne n’avait entendu.
« Qu’est-ce qu’il y a? » demanda Léa, inquiète.
« Dame Carmina, » murmura Charlye. « Elle pense que je devrais dire la vérité à Nicolas. »
« À propos de tout? »
« Je ne sais pas. Peut-être pas tout, mais… quelque chose de vrai. »
La journée passa lentement pour Charlye, chaque heure semblant s’étirer indéfiniment alors qu’elle anticipait sa rencontre avec Nicolas. En cours de français, elle surprit son regard sur elle et lui sourit timidement. Il lui rendit son sourire avant de se concentrer à nouveau sur son livre.
À la pause déjeuner, Charlye s’isola un moment dans les toilettes pour parler à Dame Carmina à travers le petit miroir de Mamie Rose qu’elle gardait dans son sac.
« Que devrais-je lui dire exactement? » demanda-t-elle, anxieuse.
Dame Carmina apparut, rayonnante dans sa robe écarlate. « La vérité a de nombreux niveaux, ma chère. Tu n’as pas besoin de tout révéler d’un coup. Commence par ce qui est le plus important – tes sentiments. »
« Mes sentiments? »
« Pourquoi évites-tu ce garçon depuis l’incident? Qu’est-ce qui te fait vraiment peur? »
Charlye réfléchit intensément. « J’ai peur… qu’il me trouve dégoûtante. Ou bizarre. Qu’il ne veuille plus me parler à cause de ça. »
« Et s’il ne pensait rien de tel? » suggéra doucement Dame Carmina. « Si tu lui donnais la chance de te montrer qui il est vraiment? »
Lorsque la dernière cloche sonna, Charlye attendit Nicolas près de la sortie, son cœur battant la chamade. Le bracelet écarlate émettait une douce chaleur, mais restait relativement calme, comme s’il respectait leur accord.
Nicolas apparut, son visage s’illuminant en l’apercevant. « Prête pour quelques tours de magie? » demanda-t-il avec un sourire espiègle.
Charlye prit une profonde inspiration. « En fait, Nicolas, j’ai quelque chose à te dire. Ce n’était pas vraiment un tour de magie hier. C’est… compliqué. »
Ils marchèrent ensemble vers le parc, trouvant un banc tranquille sous un grand chêne. Charlye tripotait nerveusement le bracelet écarlate, cherchant ses mots.
« Tu sais, l’autre jour, quand j’avais… cette tache sur mon pantalon, » commença-t-elle, sentant ses joues brûler.
Nicolas sembla surpris, puis légèrement embarrassé. « Oh, ça… Je n’étais pas sûr si je devais en parler. »
« Je t’ai évité depuis, » admit Charlye. « J’étais tellement mortifiée. »
« Pourquoi? » demanda simplement Nicolas.
Cette question la prit au dépourvu. « Eh bien, parce que… c’était embarrassant! »
Nicolas haussa les épaules. « Ma sœur aînée dit que c’est normal. Ça arrive à toutes les filles, non? »
Charlye le regarda, stupéfaite. « Tu… tu n’étais pas dégoûté? »
« Dégoûté? » Il semblait sincèrement perplexe. « Pourquoi je serais dégoûté par quelque chose de naturel? »
Le bracelet écarlate émit une pulsation chaude, presque triomphante. Charlye pouvait presque entendre le rire satisfait de Dame Carmina dans sa tête.
« Je pensais que tu ne voudrais plus me parler après ça, » avoua-t-elle doucement.
Nicolas secoua la tête, un petit sourire aux lèvres. « Charlye, je porte toujours le bracelet d’amitié que tu m’as fait, tu te souviens? » Il montra son poignet où le bracelet coloré était toujours attaché. « Tu crois vraiment qu’une petite tache changerait ce que je pense de toi? »
Charlye sentit un poids énorme se lever de ses épaules. Dame Carmina avait raison – elle avait sous-estimé Nicolas.
« Et cette brume rouge hier? » demanda-t-il, curieux. « Si ce n’était pas un tour de magie, c’était quoi? »
Charlye hésita, puis décida de prendre un risque. Elle releva sa manche, révélant le bracelet écarlate qui luisait doucement.
« C’est lié à ce bracelet. Il est… spécial. »
Nicolas se pencha pour l’examiner de plus près, fasciné. « Il a l’air d’être fait d’un matériau vraiment étrange. Comment ça marche? »
« C’est une longue histoire, » sourit Charlye. « Tu vas peut-être penser que je suis folle. »
« Essaie toujours, » l’encouragea-t-il.
Et ainsi, assise sur ce banc de parc, Charlye commença à raconter à Nicolas l’histoire de Dame Carmina et du bracelet écarlate, se sentant plus légère et plus libre qu’elle ne l’avait été depuis des jours.
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 141