Le lendemain matin, la maison des Maurel était animée comme si rien ne s’était passé. L’électricité était revenue aux premières lueurs de l’aube, effaçant les ombres inquiétantes de la nuit.
Masséo, assis devant son bol de céréales, fixait ses mains avec une intensité nouvelle. Avait-il vraiment vu ses doigts briller dans le noir ? Ou était-ce simplement un reflet de sa lampe torche ?
« Tu es bien silencieux ce matin, champion, » remarqua Catherine en déposant un verre de jus d’orange devant lui. Ses longs cheveux blonds étaient relevés en un chignon lâche, quelques mèches rebelles encadrant son visage bienveillant. Elle portait déjà sa tenue de travail, un t-shirt gris foncé qui contrastait avec la douceur de ses yeux clairs.
« J’ai vu quelque chose dans ma chambre hier soir, » murmura Masséo, hésitant à partager son expérience étrange.
« Pendant la panne ? » demanda Philippe en entrant dans la cuisine. Ses cheveux bruns bouclés étaient encore humides de sa douche matinale, et sa barbe épaisse encadrait un sourire rassurant. Il s’approcha pour ébouriffer affectueusement les cheveux châtains de son fils. « Les ombres peuvent jouer des tours quand il fait noir. »
« Ce n’était pas qu’une ombre, » insista Masséo, ses yeux s’animant soudain avec cette étincelle de détermination que ses parents connaissaient bien. « Elle avait des yeux violets et elle m’a parlé ! »
Catherine et Philippe échangèrent un regard que Masséo intercepta immédiatement. C’était ce regard d’adultes qui disait « c’est juste son imagination ».
« Je vous jure ! » s’exclama-t-il en se levant brusquement, renversant presque son bol. « Elle s’appelle L’Ombre Obscurosse et elle a dit qu’elle reviendrait ! »
« D’accord, mon grand, » dit doucement Philippe en posant une main apaisante sur l’épaule de son fils. « Si cette… Ombre Obscurosse revient, tu nous appelles tout de suite, d’accord ? »
Masséo hocha la tête, mais au fond de lui, il savait que ses parents ne le croyaient pas. Comment leur en vouloir ? Lui-même n’était pas sûr de ce qu’il avait vu.
La journée passa comme dans un brouillard. À l’école, Masséo était distrait, dessinant des ombres aux yeux violets dans les marges de ses cahiers au lieu d’écouter la leçon de mathématiques. Pendant la récréation, au lieu de courir après le ballon comme à son habitude, il resta assis sur un banc, tournant et retournant ses mains devant lui, cherchant cette lueur bleue qui était apparue la veille.
« Qu’est-ce que tu fais ? » demanda Thomas, son meilleur ami, en s’asseyant à côté de lui. Thomas était petit et vif, avec des lunettes rondes qui lui donnaient l’air d’un jeune hibou curieux.
« Rien, » répondit rapidement Masséo en cachant ses mains. « Je réfléchis juste à un truc. »
« À un truc sur les courses de F1 ? » demanda Thomas avec espoir.
« Non… sur les ombres et la lumière. »
Thomas haussa les épaules, visiblement déçu. « OK. Tu veux jouer au baseball ? J’ai apporté ma batte. »
Masséo hésita, puis sourit. Une partie de baseball lui ferait du bien. « D’accord, mais je serai le batteur ! »
La journée s’écoula plus vite après cela, mais à mesure que le soleil descendait vers l’horizon, l’angoisse de Masséo revenait. Le soir venu, il traîna des pieds pour monter se coucher, inventant toutes sortes d’excuses pour rester éveillé.
« J’ai encore soif… Je dois finir ce dessin… Je n’ai pas dit bonne nuit à Turbo… »
« Masséo, » dit fermement Catherine, « il est déjà tard. Demain, tu as école. »
Finalement, après avoir épuisé toutes ses excuses, Masséo se retrouva dans son lit, fixant le plafond. Sa veilleuse en forme de casque de course projetait une faible lueur rassurante, et la porte était entrouverte comme d’habitude. Pourtant, chaque ombre semblait plus menaçante, chaque craquement plus suspect.
« Elle ne viendra pas, » se répétait-il. « C’était juste mon imagination. »
Mais comme pour contredire sa pensée, la veilleuse se mit soudain à vaciller. La température de la pièce chuta brusquement, et Masséo sentit un frisson glacé parcourir son dos.
« Bonsoir, petit Porteur de Lumière, » murmura une voix familière depuis le coin le plus sombre de la chambre.
Masséo se redressa d’un bond, serrant sa couverture contre lui comme un bouclier. L’Ombre Obscurosse se matérialisait lentement, sa forme brumeuse et noire s’étirant comme de l’encre dans l’eau. Ses yeux violets brillaient d’une lueur hypnotique.
« Tu… tu es vraiment réelle, » balbutia Masséo.
« Aussi réelle que tes peurs, » répondit l’ombre en glissant plus près. « Et cette nuit, je vais te montrer pourquoi la peur du noir est… tout à fait justifiée. »
D’un geste fluide, l’Ombre éteignit la veilleuse, plongeant la chambre dans l’obscurité totale. Seule la faible lumière du couloir filtrait encore par l’entrebâillement de la porte.
Masséo voulut crier, appeler ses parents, mais sa voix resta bloquée dans sa gorge. Son cœur battait si fort qu’il résonnait dans ses oreilles comme le vrombissement d’un moteur de Formule 1.
« Tes parents ne peuvent pas t’aider, » susurra l’Ombre. « Ils ne me voient pas. Seuls les enfants comme toi peuvent me percevoir. »
« Qu’est-ce que tu me veux ? » parvint enfin à articuler Masséo, sa voix tremblante mais déterminée.
« Ton énergie lumineuse, » répondit L’Ombre en s’approchant encore. « Elle est particulièrement puissante, et elle me… dérange. Je préfère quand tout est sombre et paisible. »
Masséo regarda ses mains, espérant y voir réapparaître cette lueur bleue salvatrice. Rien ne se produisit.
« Concentre-toi tant que tu veux, » se moqua l’Ombre. « Tu ne contrôles pas encore tes pouvoirs. Tu es impuissant. »
La créature fondit soudain sur lui, comme une vague d’obscurité. Masséo sentit un froid intense l’envelopper, et l’air devint difficile à respirer. Il ferma les yeux de toutes ses forces, souhaitant désespérément que quelqu’un vienne à son secours.
C’est alors qu’une lumière aveuglante illumina la chambre. L’Ombre Obscurosse poussa un cri strident et recula précipitamment. Masséo ouvrit les yeux, ébloui par l’intensité de cette clarté soudaine.
Dans l’encadrement de la porte se tenait une silhouette élancée. C’était une femme d’une soixantaine d’années, aux cheveux argentés coupés court qui semblaient refléter la lumière comme un miroir. Elle portait une combinaison bleu nuit parsemée d’étoiles scintillantes et tenait à la main ce qui ressemblait à une télécommande high-tech.
« Ça suffit pour ce soir, Obscurosse, » déclara-t-elle d’une voix ferme mais mélodieuse. « Tu sais que tu n’as pas le droit d’attaquer un Porteur qui n’est pas encore éveillé. »
L’Ombre siffla de frustration, ses yeux violets lançant des éclairs. « Stellaria… Toujours à intervenir quand ce n’est pas ton tour. »
« Les règles sont les règles, » répondit calmement la femme en avançant dans la chambre. Elle pointa sa télécommande vers l’Ombre, et un rayon de lumière argentée en jaillit, forçant la créature à reculer encore davantage.
« Ce n’est que partie remise, » grogna L’Ombre Obscurosse avant de se dissiper comme un nuage de fumée, disparaissant dans les recoins de la chambre.
Masséo, toujours figé sur son lit, fixait la mystérieuse femme avec un mélange de crainte et d’émerveillement.
« Qui… qui êtes-vous ? » demanda-t-il finalement.
La femme lui sourit gentiment, rangeant sa télécommande dans une poche de sa combinaison. « Je m’appelle Stellaria, gardienne de l’Équilibre Lumineux. Et toi, mon garçon, tu es bien plus spécial que tu ne le crois. »
Elle s’approcha et s’assit au bord du lit. À sa grande surprise, Masséo remarqua que ses yeux changeaient de couleur, passant du bleu au doré selon l’angle de la lumière.
« L’Ombre Obscurosse t’a appelé un ‘Porteur de Lumière’. Sais-tu ce que cela signifie ? »
Masséo secoua la tête, encore sous le choc de tout ce qui venait de se passer.
« C’est un don rare et précieux, » expliqua Stellaria. « Un don que je possède aussi, et que je pourrais t’apprendre à maîtriser… si tu le souhaites. »
« Pour combattre cette ombre ? » demanda Masséo, sa curiosité naturelle prenant le dessus sur sa peur.
« Pas seulement pour combattre, » corrigea doucement Stellaria. « Pour comprendre. La lumière et l’ombre sont deux faces d’une même pièce, Masséo. On ne peut pas avoir l’une sans l’autre. »
Elle tendit sa main, et une petite sphère de lumière dorée apparut au-dessus de sa paume. « Demain soir, je reviendrai t’enseigner les bases. D’ici là, essaie de te reposer. L’Ombre Obscurosse ne reviendra pas cette nuit, je m’en suis assurée. »
D’un geste gracieux, elle envoya la sphère lumineuse vers la veilleuse éteinte de Masséo, qui se ralluma instantanément.
« Comment avez-vous fait ça ? » s’émerveilla Masséo.
« Avec de l’entraînement et de la patience, » répondit Stellaria en se levant. « Deux qualités que tu devras développer si tu veux maîtriser tes pouvoirs. »
Elle se dirigea vers la porte, puis se retourna une dernière fois. « Une chose importante, Masséo : tes parents ne peuvent pas me voir non plus. Comme l’a dit Obscurosse, seuls certains enfants ont cette capacité. C’est notre petit secret, d’accord ? »
Masséo acquiesça solennellement. « D’accord. Vous reviendrez vraiment demain ? »
« Je te le promets, » affirma Stellaria avant de disparaître dans un scintillement argenté.
Resté seul, Masséo contempla à nouveau ses mains. Cette fois, il était sûr de n’avoir pas rêvé. Il était un Porteur de Lumière, quoi que cela puisse signifier. Et demain, il commencerait à apprendre à utiliser ses pouvoirs.
Avec un mélange d’excitation et d’appréhension, il se rallongea et ferma les yeux. Pour la première fois depuis longtemps, l’obscurité de sa chambre lui semblait un peu moins effrayante.
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 76