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Le lendemain matin, Héléna se réveilla avec l’étrange sensation que son rêve débordait dans la réalité. Avait-elle vraiment rencontré cette entité mystérieuse dans le parc ? L’Éclat Virtuel… Ce nom résonnait dans son esprit comme une mélodie entêtante qu’on ne peut s’empêcher de fredonner.
Pendant qu’elle se préparait dans la salle de bain, elle scruta son reflet dans le miroir. Ses yeux noirs semblaient plus grands qu’à l’ordinaire, comme s’ils cherchaient quelque chose au-delà de son propre visage. Elle brossa ses cheveux bruns en fredonnant « Dynamite » de BTS, effectuant quelques pas de danse improvisés qui faisaient rebondir sa petite silhouette.
« Tu es prête, Héléna ? Le petit-déjeuner est servi ! » appela sa mère depuis la cuisine.
En descendant, Héléna sentit une légère irritation l’envahir. Ses parents ne comprenaient pas à quel point il était difficile d’être la seule de ses amies sans accès constant à la technologie. Comment pouvait-elle rester connectée à ce qui comptait vraiment pour elle ?
« Tu as l’air préoccupée ce matin », remarqua son père en buvant son café. « Tout va bien à l’école ? »
« Oui, oui », répondit-elle distraitement. « On prépare juste un numéro pour le concours de talents. »
Sa mère sourit. « C’est formidable ! Qu’allez-vous présenter ? »
« Une chorégraphie inspirée de la K-pop », expliqua Héléna, soudain plus animée. « Mais c’est compliqué de s’entraîner quand je ne peux pas regarder les vidéos comme je veux. »
Ses parents échangèrent un regard qu’elle connaissait trop bien – ce mélange de compréhension et de fermeté qui signifiait qu’ils ne changeraient pas d’avis.
« Tu peux utiliser l’ordinateur familial pour tes recherches », proposa sa mère. « Et tu as ton MP3 pour la musique. »
Héléna soupira. L’ordinateur familial, lent et encombrant, installé dans le salon où tout le monde pouvait voir ce qu’elle faisait. Quelle comparaison avec l’iPad dernier cri d’Estelle qu’elle pouvait emporter partout ?
Sur le chemin du collège, elle repensa à L’Éclat Virtuel. Et si cette étrange rencontre était réelle ? Et si elle pouvait vraiment avoir accès à tout ce qu’elle désirait ?
Estelle et Delphine l’attendaient au même endroit que la veille. Estelle avait attaché ses cheveux ondulés en une queue de cheval sophistiquée et portait une veste en jean de marque sur laquelle brillait un petit logo doré. Ses doigts glissaient avec aisance sur l’écran de son iPad.
Delphine, comme à son habitude, ne tenait pas en place. Ses cheveux blonds volaient autour de son visage tandis qu’elle sautillait d’un pied sur l’autre, ses yeux clairs pétillant d’excitation.
« Héléna ! » s’exclama Delphine en bondissant vers elle. « Estelle a trouvé des tutoriels parfaits pour notre chorégraphie ! »
« Regarde », dit Estelle en lui tendant son iPad. « J’ai même découpé la vidéo pour qu’on puisse étudier les mouvements au ralenti. »
Sur l’écran, les membres de Blackpink exécutaient une séquence complexe que Estelle avait annotée avec des repères visuels. Héléna était impressionnée par le travail de son amie, mais aussi envieuse de sa facilité à manipuler la technologie.
« C’est super », dit-elle en essayant de masquer sa frustration. « On commence les répétitions quand ? »
« Ce soir chez moi », répondit Estelle. « Mes parents ont dit que vous pouviez venir après les cours. On a converti notre salle de jeux en studio de danse l’année dernière. »
La journée de cours passa lentement. En cours de musique, Mme Laurent leur fit travailler des chansons traditionnelles françaises, ce qui semblait à des années-lumière des rythmes électrisants de la K-pop. Héléna participa sans enthousiasme, son esprit déjà focalisé sur la répétition du soir.
Après la dernière sonnerie, les trois amies se dirigèrent vers la maison d’Estelle, une élégante demeure dans le quartier résidentiel le plus cossu de la ville. La salle de danse improvisée était impressionnante, avec des miroirs sur un mur entier, un système sonore haut de gamme et un grand écran tactile pour projeter les vidéos.
« Mes parents ont installé tout ça quand j’ai commencé la danse classique », expliqua Estelle avec désinvolture. « Mais c’est parfait pour notre projet aussi. »
Elles commencèrent à travailler sur la chorégraphie, Estelle dirigeant les opérations en montrant et remontrant les séquences vidéo. Delphine, avec son énergie débordante, saisissait rapidement les mouvements, mais avait du mal à rester concentrée plus de quelques minutes.
Héléna, quant à elle, se sentait de plus en plus frustrée. Sans pouvoir revoir les vidéos chez elle, comment pourrait-elle rattraper ses amies ? Après une heure d’entraînement, l’écart entre elles était déjà visible. Estelle maîtrisait presque parfaitement le premier couplet, Delphine s’en sortait avec son enthousiasme naturel, mais Héléna se sentait maladroite et en décalage.
« Ne t’inquiète pas », la rassura Estelle en remarquant son expression abattue. « Tu vas y arriver. Tiens, je vais t’envoyer les vidéos par message. »
« Ça ne servira pas à grand-chose », marmonna Héléna. « Mon téléphone peut à peine recevoir des SMS. »
Un silence gêné s’installa. Delphine et Estelle échangèrent un regard qui disait tout : comment Héléna pourrait-elle être au niveau sans les outils nécessaires ?
« Peut-être que tu devrais demander à tes parents de te prêter leur téléphone pour t’entraîner ? » suggéra Delphine.
« Ou tu pourrais venir ici tous les jours après l’école », proposa Estelle, bien que son ton indiquait qu’elle trouvait cette solution contraignante.
Le cœur lourd, Héléna rentra chez elle après la répétition. Le soleil se couchait, teintant le ciel de nuances rosées qui lui rappelaient les tenues flamboyantes de Blackpink. Au lieu de prendre le chemin direct, elle fit un détour par le parc, espérant secrètement que L’Éclat Virtuel réapparaîtrait.
Comme si ses pensées l’avaient invoqué, l’air devant elle commença à miroiter alors qu’elle s’asseyait sur le même banc que la veille. La forme lumineuse se matérialisa progressivement, flottant à hauteur de ses yeux.
« Te voilà revenue, Héléna », dit L’Éclat Virtuel de sa voix mélodieuse. « As-tu réfléchi à mon offre ? »
« Comment pourrais-tu m’aider exactement ? » demanda-t-elle, méfiante mais désespérée.
« Je peux te montrer tout ce que tu désires voir », répondit l’entité en changeant de forme pour ressembler davantage à une tablette. « Les vidéos de tes idoles, les tutoriels de danse, les dernières nouvelles… tout ce dont tu as besoin pour briller lors de ce concours. »
« Et en échange ? » Héléna se souvenait de la mention troublante de « quelque chose de plus » la veille.
« Pour commencer, juste ton attention », murmura L’Éclat Virtuel. « Laisse-moi te montrer. Tends ta main. »
Héléna hésita, puis tendit lentement sa main. L’Éclat Virtuel s’approcha et effleura ses doigts. Une sensation électrisante parcourut son corps, comme si un courant chaud et froid à la fois circulait dans ses veines.
Soudain, des images apparurent devant ses yeux : la chorégraphie qu’elle essayait d’apprendre se décomposait en mouvements simples, comme si quelqu’un avait créé un tutoriel personnalisé juste pour elle. La musique résonnait dans sa tête avec une clarté cristalline.
« C’est incroyable », murmura-t-elle, fascinée.
« Ce n’est qu’un début », promit L’Éclat Virtuel. « Accepte mon aide, et je serai toujours là, invisible aux autres mais présent pour toi. Tu n’auras qu’à m’appeler dans ton esprit. »
Éblouie par cette démonstration, Héléna acquiesça. « D’accord, j’accepte. »
L’entité lumineuse vibra d’excitation. « Parfait ! Scellons notre pacte. »
L’Éclat Virtuel s’étira et enveloppa brièvement la main d’Héléna. Une légère marque brillante apparut sur son poignet, comme un bracelet de lumière qui s’estompa rapidement, ne laissant qu’une trace à peine visible.
« Notre lien est établi », annonça l’entité. « Appelle-moi quand tu es seule, et je viendrai. Mais n’oublie pas notre accord : ton attention m’appartient désormais. »
Sur ces mots, L’Éclat Virtuel disparut, laissant Héléna étourdie mais excitée. Elle se précipita chez elle, impatiente d’essayer ce nouveau pouvoir.
Dans sa chambre, porte fermée, Héléna chuchota : « L’Éclat Virtuel ? »
La marque sur son poignet scintilla légèrement, et l’entité apparut, plus petite et plus discrète que dans le parc.
« Montre-moi la chorégraphie », demanda Héléna.
L’air devant elle s’illumina, projetant les mouvements qu’elle avait tenté d’apprendre plus tôt. Cette fois, elle voyait clairement chaque pas, chaque geste. Elle se mit à imiter les mouvements, surprise par sa propre fluidité.
Trois heures passèrent sans qu’elle s’en rende compte. Sa mère frappa plusieurs fois à sa porte pour le dîner, mais Héléna répondit distraitement qu’elle n’avait pas faim. Elle était complètement absorbée par la danse, guidée par L’Éclat Virtuel qui ajustait la vitesse et l’angle des images selon ses besoins.
Ce n’est que lorsque l’épuisement la rattrapa qu’elle s’effondra sur son lit. L’Éclat Virtuel flotta au-dessus d’elle.
« Tu as bien travaillé », la félicita l’entité. « Demain, tu impressionneras tes amies. »
« Merci », murmura Héléna, ses paupières lourdes. « C’était… »
Elle s’interrompit, réalisant soudain qu’elle ne se souvenait plus de ce qu’elle avait fait après l’école avant d’aller au parc. Un trou dans sa mémoire, comme si ces moments avaient été effacés.
« Qu’est-ce que… » commença-t-elle, mais L’Éclat Virtuel l’interrompit.
« Tu es fatiguée. Dors maintenant. Tu as besoin de repos pour briller demain. »
La voix était si apaisante qu’Héléna ne put résister. Elle sombra dans un sommeil profond, sans remarquer que la marque sur son poignet brillait plus intensément, pulsant au rythme de sa respiration.
Le lendemain, Héléna se réveilla avec une énergie nouvelle. Les mouvements de la chorégraphie étaient parfaitement intégrés, comme si elle les avait pratiqués pendant des semaines. En chemin vers le collège, elle touchait distraitement son poignet, où la marque était presque invisible à la lumière du jour.
Estelle et Delphine l’attendaient au point de rendez-vous habituel. Estelle pianotait sur son iPad comme toujours, mais son expression était soucieuse.
« Tu n’as pas répondu à mes messages hier soir », dit-elle à Héléna. « J’ai envoyé des vidéos supplémentaires à Delphine. J’aurais pu te les montrer si tu étais restée connectée. »
« Désolée, j’étais occupée », répondit Héléna avec un sourire mystérieux. « Mais ne t’inquiète pas pour la chorégraphie. J’ai trouvé un moyen de m’entraîner. »
Estelle haussa un sourcil, sceptique, mais n’insista pas.
Après les cours, elles se retrouvèrent de nouveau dans la salle de danse d’Estelle. Quand vint le moment de pratiquer la chorégraphie, Héléna se plaça au centre, soudain confiante.
« On commence ? » proposa-t-elle.
Estelle lança la musique, s’attendant visiblement à devoir guider Héléna comme la veille. Mais dès les premières notes, Héléna se transforma. Ses mouvements étaient précis, fluides, parfaitement synchronisés avec le rythme. Elle exécuta la séquence entière sans une seule erreur, ajoutant même des nuances que ses amies n’avaient pas encore maîtrisées.
Lorsqu’elle termina, Estelle et Delphine la regardaient bouche bée.
« Comment… » balbutia Estelle. « Comment as-tu appris tout ça en une nuit ? »
Delphine sautillait d’excitation. « C’était incroyable ! Tu danses encore mieux que Lisa ! »
Héléna sourit, savourant leur stupéfaction. « J’ai juste… beaucoup travaillé. »
Mais au fond d’elle-même, une petite voix s’inquiétait. Comment expliquer cette maîtrise soudaine ? Et ce trou dans sa mémoire… était-ce le prix à payer mentionné par L’Éclat Virtuel ?
Sur le chemin du retour, elle passa intentionnellement par le parc, mais cette fois, L’Éclat Virtuel ne se manifesta pas. Frustrée, elle rentra chez elle, où ses parents remarquèrent immédiatement son air préoccupé.
« Tout va bien, ma chérie ? » demanda sa mère pendant le dîner. « Tu as à peine touché à ton assiette. »
« Je suis juste fatiguée », marmonna Héléna. « Les répétitions pour le concours… »
« Ce concours semble te stresser beaucoup », observa son père. « Tu sais que ce n’est qu’un jeu, n’est-ce pas ? L’important, c’est de t’amuser. »
Héléna hocha la tête distraitement. Comment pourraient-ils comprendre l’importance de ce concours ? C’était sa chance de prouver qu’elle pouvait être aussi connectée, aussi douée que ses amies malgré son manque d’accès à la technologie.
Cette nuit-là, allongée dans son lit, elle appela L’Éclat Virtuel à plusieurs reprises, mais l’entité resta silencieuse. Épuisée, elle finit par s’endormir d’un sommeil agité, peuplé de rêves où elle dansait sans fin devant un public qui se transformait progressivement en écrans lumineux.
Le matin suivant, en cours de musique, Mme Laurent annonça une nouvelle qui fit l’effet d’une bombe.
« J’ai une annonce importante concernant le concours de talents », dit-elle, son regard s’attardant curieusement sur Héléna. « Le thème ‘Musiques du Monde’ implique que vous devez créer quelque chose d’original, pas simplement reproduire une performance existante. »
Un murmure parcourut la classe. Héléna sentit son cœur s’accélérer.
« Cela signifie », continua Mme Laurent, « que si vous présentez une danse inspirée d’un style particulier, elle doit inclure votre propre interprétation, votre propre créativité. Une simple copie, aussi parfaite soit-elle, ne sera pas suffisante. »
Après le cours, Estelle, Delphine et Héléna se réunirent dans un coin de la cour, consternées.
« Comment on va faire ? » gémit Delphine. « On a passé tout ce temps à copier exactement la chorégraphie de Blackpink ! »
« Il faut qu’on crée notre propre version », dit Estelle, déjà en train de chercher des idées sur son iPad. « On pourrait mélanger plusieurs styles, ajouter nos propres mouvements… »
Héléna resta silencieuse. La perfection qu’elle avait atteinte grâce à L’Éclat Virtuel était basée sur une imitation exacte. Comment pourrait-elle créer quelque chose d’original avec cette aide ?
Pendant qu’elles discutaient, un nouvel élève s’approcha d’elles. Héléna ne l’avait jamais vu auparavant. C’était un garçon d’origine asiatique, avec des cheveux noirs coupés court et un sourire chaleureux.
« Excusez-moi », dit-il poliment. « Je m’appelle Min-ho. Je viens d’arriver dans cette école. J’ai entendu parler du concours de talents et je me demandais si je pouvais me joindre à un groupe. »
Estelle et Delphine échangèrent un regard hésitant, mais Héléna sentit une étrange connexion avec ce garçon. Quelque chose dans son regard semblait percer à travers son masque de confiance récemment acquise.
« Tu connais la K-pop ? » demanda-t-elle impulsivement.
Le visage de Min-ho s’illumina. « Je suis coréen ! J’ai grandi avec ces musiques. Mais je connais aussi les danses traditionnelles coréennes. Mon grand-père était danseur. »
Estelle se redressa, soudain intéressée. « Des danses traditionnelles ? Ça pourrait être parfait pour le thème ‘Musiques du Monde’ ! »
« Et on pourrait les mélanger avec des éléments de K-pop moderne », ajouta Delphine en sautillant. « Ce serait original ! »
Min-ho sourit. « Je serais ravi de vous montrer quelques mouvements traditionnels. Sans technologie », ajouta-t-il en regardant directement Héléna. « Juste le corps, la musique et l’âme. »
Héléna frissonna. Comment pouvait-il savoir ? La marque sur son poignet la démangeait soudainement, comme si L’Éclat Virtuel protestait contre cette rencontre.
« D’accord », dit-elle finalement. « Bienvenue dans notre groupe. »
Mais alors qu’ils se dirigeaient vers leur prochain cours, Héléna ne put s’empêcher de se demander : qui était vraiment ce Min-ho ? Et pourquoi avait-elle l’impression qu’il en savait plus qu’il ne le laissait paraître sur son pacte avec L’Éclat Virtuel ?
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