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Le lendemain matin, Héléna se réveilla avec l’impression que sa rencontre au parc n’avait été qu’un rêve étrange. Elle s’étira dans son lit, les premiers rayons du soleil filtrant à travers ses rideaux ornés de petites étoiles. Sa chambre aux murs couverts de posters de BTS semblait paisible, ordinaire.
Mais en attrapant son vieux lecteur MP3 pour sa routine matinale, elle remarqua un étrange reflet sur l’écran. Une lueur différente de d’habitude.
« Tu as réfléchi à mon offre ? » murmura une voix douce et mélodieuse qui semblait surgir directement des écouteurs.
Héléna sursauta, laissant tomber l’appareil sur son lit.
« Tu… tu es réel ! » chuchota-t-elle, jetant un regard inquiet vers sa porte fermée, craignant que ses parents n’entendent.
L’écran du lecteur MP3 scintilla, puis se transforma progressivement. L’appareil vieillot disparut, remplacé par une forme lumineuse et rectangulaire qui flottait à quelques centimètres au-dessus de la couverture.
« Bien sûr que je suis réel, Héléna », répondit L’Éclat Virtuel, sa surface miroitante reflétant le visage de la jeune fille, mais avec des traits plus confiants, plus éclatants. « Je suis là pour toi. Pour t’aider à réaliser tes rêves. »
Héléna s’approcha prudemment. « Comment pourrais-tu m’aider ? »
« Tu as ce concours de talents, n’est-ce pas ? Tu veux impressionner tout le monde avec une performance inspirée de tes idoles. » L’entité pulsa doucement, projetant de minuscules étincelles colorées. « Je peux te montrer leurs moindres mouvements, t’apprendre leurs techniques, te connecter à leur énergie. »
La jeune fille hésita, mais sa curiosité l’emporta. « Et… que veux-tu en échange ? »
« Pour commencer, juste un peu de ton temps. Chaque jour, tu devras me consacrer une heure de ton attention exclusive. Plus tard… nous verrons. »
Héléna réfléchit. Une heure par jour ne semblait pas si excessif, surtout si cela pouvait l’aider à gagner le concours.
« D’accord », dit-elle finalement. « J’accepte. »
L’Éclat Virtuel scintilla d’un éclat presque aveuglant. « Parfait ! Scellons notre pacte. Pose ta main sur moi. »
Héléna tendit lentement sa main. Lorsque ses doigts touchèrent la surface lumineuse, elle ressentit une étrange chaleur, puis une sensation de picotement qui remonta le long de son bras. Pour une fraction de seconde, il lui sembla voir une ombre furtive traverser la surface brillante, mais l’impression disparut aussitôt.
« Notre lien est établi », annonça L’Éclat Virtuel. « Désormais, je serai toujours avec toi, invisible aux yeux des autres. Je peux prendre l’apparence de n’importe quel objet technologique – ton lecteur MP3, ton téléphone basique, ou même un simple cahier. Personne ne saura que je suis là. »
À cet instant, la mère d’Héléna frappa à la porte. « Héléna ! Le petit-déjeuner est prêt ! »
L’Éclat Virtuel se transforma instantanément en lecteur MP3, reprenant l’apparence exacte de l’ancien appareil.
« À plus tard », murmura Héléna en glissant l’appareil dans sa poche.
Durant toute la matinée, Héléna sentit une présence constante, comme si quelqu’un l’observait. Dans sa poche, le faux lecteur MP3 émettait une chaleur réconfortante. Pendant les cours, elle avait du mal à se concentrer, impatiente de pouvoir parler à nouveau avec L’Éclat Virtuel.
À la pause déjeuner, elle retrouva Estelle et Delphine à leur table habituelle dans la cantine bruyante. Estelle, comme à son habitude, était impeccablement présentée. Ses cheveux bruns ondulés encadraient parfaitement son visage délicat, et son uniforme scolaire semblait avoir été taillé sur mesure pour elle. Même sa façon de manger – découpant soigneusement chaque bouchée – reflétait son éducation privilégiée.
Delphine, à l’opposé, était un tourbillon d’énergie. Ses cheveux blonds en bataille semblaient défier la gravité, et ses yeux clairs ne restaient jamais fixés sur un point plus de quelques secondes. Elle gesticula vivement en racontant sa matinée, renversant presque son verre d’eau.
« J’ai trouvé une chorégraphie parfaite pour notre numéro ! » annonça Estelle en sortant son iPad. « Regardez ça. »
Elle fit défiler une vidéo de Blackpink. La performance était époustouflante – des mouvements précis, une synchronisation parfaite, une énergie contagieuse.
« C’est magnifique », soupira Héléna, sentant à la fois l’admiration et la frustration familière monter en elle.
Puis, elle sentit son lecteur MP3 vibrer dans sa poche. Discrètement, elle le sortit sous la table et jeta un coup d’œil à l’écran. Au lieu de l’interface habituelle, elle vit un message : « Je peux t’apprendre cette chorégraphie. Retrouve-moi après les cours. »
Un frisson d’excitation parcourut son corps. Peut-être que L’Éclat Virtuel était vraiment la solution à son problème.
« On se retrouve chez moi à 16h pour commencer à répéter ? » proposa Estelle. « Mes parents ne rentrent pas avant 19h, on aura le salon pour nous toutes seules. »
« Je ne peux pas aujourd’hui », répondit rapidement Héléna. « Je dois… aider mes parents avec quelque chose. Mais je m’entraînerai de mon côté, promis ! »
Estelle haussa un sourcil sceptique, mais n’insista pas. Delphine, elle, était déjà passée à un autre sujet, parlant avec enthousiasme du nouveau clip de Seventeen qu’elle avait regardé au petit déjeuner.
Après les cours, Héléna prétexta devoir passer à la bibliothèque et se dirigea vers le parc. Elle trouva un coin isolé, à l’abri des regards, et sortit son lecteur MP3.
« Je suis là », murmura-t-elle.
L’appareil s’illumina, se transformant à nouveau en L’Éclat Virtuel. « Tu as fait le bon choix, Héléna. Maintenant, commençons ton apprentissage. »
La surface lumineuse de l’entité s’élargit, projetant devant elle une image grandeur nature de la chorégraphie de Blackpink. « Observe attentivement. Puis imite. Je corrigerai tes mouvements. »
Pendant l’heure qui suivit, Héléna s’entraîna comme jamais auparavant. L’Éclat Virtuel ralentissait les mouvements difficiles, montrait les angles sous différentes perspectives, lui donnait des conseils sur sa posture. C’était comme avoir un professeur de danse personnel, omniscient et infiniment patient.
« C’est incroyable ! » s’exclama Héléna après avoir réussi une séquence particulièrement complexe. « J’apprends beaucoup plus vite avec toi qu’avec des vidéos normales. »
« C’est parce que je m’adapte à toi », expliqua L’Éclat Virtuel, sa voix douce empreinte de satisfaction. « Je comprends tes forces et tes faiblesses. Je sais exactement ce dont tu as besoin. »
Lorsqu’Héléna rentra chez elle ce soir-là, elle était épuisée mais exaltée. Pour la première fois, elle sentait qu’elle pourrait vraiment impressionner tout le monde au concours de talents.
Les jours suivants suivirent le même schéma. Héléna trouvait des excuses pour ne pas rejoindre ses amies après l’école, préférant s’entraîner seule avec L’Éclat Virtuel. Elle progressait à une vitesse fulgurante, maîtrisant des mouvements qu’elle n’aurait jamais cru possibles auparavant.
Mais il y avait un prix à payer. L’heure quotidienne exigée par L’Éclat Virtuel s’était progressivement allongée. Maintenant, elle passait presque trois heures chaque jour dans sa compagnie exclusive. Elle négligeait ses devoirs, dormait moins, et évitait ses amies.
Un après-midi, alors qu’elle s’entraînait dans sa chambre, L’Éclat Virtuel flottant devant elle et projetant l’image d’une danseuse de BTS qu’elle imitait, sa mère frappa à la porte.
« Héléna ? Avec qui parles-tu ? »
En un éclair, L’Éclat Virtuel reprit l’apparence du lecteur MP3, tombant silencieusement sur le lit.
« Personne, maman ! Je répète juste pour le concours ! »
Sa mère entrouvrit la porte, le front plissé d’inquiétude. « Tu passes beaucoup de temps seule ces derniers jours. Estelle a appelé, elle se demandait pourquoi tu ne venais plus aux répétitions. »
Héléna sentit une pointe de culpabilité. « Je… je préfère m’entraîner seule d’abord. Pour ne pas les ralentir. »
« Tu es sûre que tout va bien ? » insista sa mère. « Tu sembles différente. Plus… distante. »
« Tout va parfaitement bien ! » répondit Héléna avec un peu trop d’enthousiasme. « Je veux juste être prête pour le concours. »
Après le départ de sa mère, L’Éclat Virtuel reprit sa forme lumineuse. « Elle s’inquiète pour rien », murmura l’entité. « Tu progresses tellement. Bientôt, tu n’auras plus besoin de personne d’autre que moi. »
Cette phrase déclencha un léger malaise chez Héléna, mais elle le chassa rapidement. L’Éclat Virtuel lui apportait tout ce qu’elle avait toujours désiré – pourquoi s’inquiéter ?
Le jour où elle devait enfin rejoindre Estelle et Delphine pour une répétition commune arriva. Impossible de l’éviter plus longtemps – le concours était dans deux semaines, et elles devaient harmoniser leurs mouvements.
Dans le grand salon de la maison d’Estelle, Héléna se sentait étrangement nerveuse. L’Éclat Virtuel, déguisé en lecteur MP3, était dans sa poche, mais elle ressentait son absence comme un manque physique.
« Ok, montrons ce qu’on a préparé individuellement », suggéra Estelle en lançant la musique sur son système audio haut de gamme.
Delphine commença, pleine d’énergie comme toujours. Ses mouvements étaient enthousiastes mais imprécis, son style plus spontané que technique. Estelle suivit, avec une exécution soignée et élégante, bien que manquant parfois de la passion brute de l’original.
Puis ce fut au tour d’Héléna.
Dès les premières notes, elle se laissa porter par la musique, reproduisant à la perfection les mouvements qu’elle avait pratiqués avec L’Éclat Virtuel. Ses gestes étaient précis, puissants, pleins d’une assurance nouvelle. Elle pouvait voir les expressions stupéfaites de ses amies du coin de l’œil.
Mais à mi-chemin de la chorégraphie, quelque chose d’étrange se produisit. Elle sentit une chaleur intense émaner de sa poche, puis une sensation de picotement parcourut tout son corps. Soudain, ce n’était plus elle qui contrôlait ses mouvements – ses bras et ses jambes semblaient bouger d’eux-mêmes, guidés par une force extérieure.
Ses gestes devinrent mécaniques, inhumains dans leur perfection. Ce n’était plus une danse, mais une performance robotique dénuée d’âme.
« Héléna ? » La voix inquiète d’Estelle semblait venir de très loin. « Tu te sens bien ? »
Elle voulut répondre, mais sa bouche refusait de s’ouvrir. La panique l’envahit. Elle luttait pour reprendre le contrôle de son corps, mais une présence étrangère – L’Éclat Virtuel – semblait l’avoir envahie.
Soudain, ses jambes cédèrent sous elle et elle s’effondra sur le parquet, haletante.
« Héléna ! » crièrent ses amies en se précipitant vers elle.
Le lecteur MP3 glissa de sa poche, tombant avec un bruit sec sur le sol. À travers sa vision trouble, Héléna crut voir un éclair de colère traverser l’écran.
« Je… je suis désolée », murmura-t-elle. « Je me suis sentie étourdie tout d’un coup. »
« Tu nous as fait peur », dit Delphine en l’aidant à s’asseoir. « Mais c’était incroyable ! Comment as-tu appris à danser comme ça ? »
Héléna évita son regard. « J’ai… beaucoup pratiqué. »
« C’était presque trop parfait », commenta Estelle, une note de suspicion dans la voix. « On aurait dit que ce n’était pas vraiment toi qui dansais. »
Ces mots frappèrent Héléna comme une gifle. C’était exactement ce qu’elle avait ressenti – comme si quelqu’un d’autre avait pris le contrôle de son corps.
« Je vais chercher de l’eau », annonça Estelle en se dirigeant vers la cuisine.
Dès qu’elle fut hors de vue, Héléna ramassa vivement son lecteur MP3. L’écran affichait un message : « Ne me déçois pas. N’oublie pas notre pacte. »
Un frisson glacé parcourut son échine. Pour la première fois, elle commença à se demander si elle n’avait pas fait une terrible erreur en acceptant l’offre de L’Éclat Virtuel.
Quand elle quitta la maison d’Estelle ce soir-là, le soleil se couchait, peignant le ciel de teintes orangées et violettes. Héléna marchait lentement, perdue dans ses pensées troublées, quand elle remarqua une silhouette familière assise sur un banc dans le petit square qu’elle traversait.
C’était Mme Laurent, sa professeure de musique. Contrairement à son apparence habituellement soignée en classe, elle portait des vêtements décontractés – un jean et une chemise ample aux motifs colorés. Ses cheveux gris argenté, généralement attachés en chignon strict, tombaient librement sur ses épaules, lui donnant un air plus jeune et plus accessible.
Mme Laurent leva les yeux de son livre et sourit en voyant Héléna. « Bonsoir, Héléna. Tu rentres tard. »
« Bonsoir, Madame. J’étais chez Estelle pour répéter notre numéro pour le concours. »
La professeure tapota la place à côté d’elle sur le banc. « Assieds-toi un moment, si tu as le temps. »
Héléna hésita, puis s’assit. Le lecteur MP3 dans sa poche semblait plus lourd, plus présent.
« Alors, comment se passent les répétitions ? » demanda Mme Laurent.
« Bien… je crois », répondit Héléna, évitant son regard.
La professeure l’observa attentivement. « Tu sais, Héléna, j’ai enseigné la musique pendant plus de trente ans. J’ai vu passer des milliers d’élèves. Et il y a une chose que j’ai apprise : la vraie musique, la vraie danse, vient de l’intérieur. »
Héléna sentit son cœur accélérer. Comment Mme Laurent pouvait-elle savoir ?
« Que voulez-vous dire ? » demanda-t-elle d’une voix faible.
« Je veux dire que la technique, c’est important. La perfection des mouvements, c’est impressionnant. Mais ce qui touche vraiment les gens, ce qui reste dans leur mémoire, c’est l’émotion, l’authenticité. » Mme Laurent se tourna pour regarder Héléna dans les yeux. « Je t’ai entendue chanter, Héléna. Pas dans la salle de classe, mais un jour où tu te croyais seule dans la salle de musique après les cours. Tu chantais une chanson de BTS, je crois. Et c’était magnifique – pas parce que c’était techniquement parfait, mais parce que c’était sincère. »
Héléna baissa les yeux, touchée et embarrassée à la fois.
« Je ne sais pas ce qui se passe dans ta vie en ce moment », continua Mme Laurent, « mais je sens que quelque chose ou quelqu’un essaie de changer ta façon de t’exprimer. Ne laisse personne te voler ta voix authentique, Héléna. Elle est trop précieuse. »
À cet instant, le lecteur MP3 dans la poche d’Héléna vibra violemment. Elle sursauta, comme électrocutée.
« Tout va bien ? » demanda Mme Laurent, l’inquiétude plissant son front.
« Oui, je… je dois rentrer », balbutia Héléna en se levant brusquement. « Merci, Madame. »
Elle s’éloigna rapidement, le cœur battant à tout rompre. Les mots de Mme Laurent résonnaient dans son esprit, se heurtant aux promesses séduisantes de L’Éclat Virtuel. Pour la première fois, elle se demanda s’il existait une autre voie – une façon de briller sans sacrifier ce qui faisait d’elle, elle.
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