Léa attendait au coin de la rue, ses tresses afro se balançant au rythme de la musique qu’elle écoutait sur ses écouteurs. En voyant Charlye approcher, elle sourit largement et retira ses écouteurs.
« Alors, c’est quoi cette grande nouvelle qui ne pouvait pas attendre? » demanda-t-elle tandis qu’elles commençaient à marcher vers le collège.
Charlye hésita. Comment expliquer l’inexplicable? Elle opta pour la partie la plus simple.
« Regarde, » dit-elle en remontant sa manche pour révéler le bracelet écarlate.
Léa siffla d’admiration. « Wow, il est magnifique! Il vient d’où? »
« C’est ça le problème. Je ne sais pas. Je me suis réveillée avec ce matin, et je n’arrive pas à l’enlever. »
Léa fronça les sourcils et tenta de faire glisser le bracelet sur le poignet de son amie. « C’est bizarre, on dirait qu’il n’a pas d’ouverture. Comment tu l’as mis? »
« Je ne l’ai pas mis! C’est… apparu. »
Charlye s’apprêtait à mentionner Dame Carmina mais se ravisa. Même Léa, sa meilleure amie depuis la maternelle, pourrait penser qu’elle devenait folle si elle parlait d’une femme mystérieuse apparaissant dans son miroir.
« Et il y a autre chose, » ajouta-t-elle en baissant la voix. « Depuis ce matin, j’ai l’impression que ce bracelet… réagit à mes émotions. Il devient chaud quand je suis nerveuse ou embarrassée. »
Comme pour confirmer ses paroles, le bracelet se mit à luire doucement d’une teinte plus profonde.
« Regarde! » s’exclama Léa, les yeux écarquillés. « Il brille! »
« Chut, pas si fort! » supplia Charlye en couvrant à nouveau le bracelet. « Je ne veux pas attirer l’attention. »
Surtout pas celle de Nicolas, pensa-t-elle sans le dire.
« D’accord, d’accord, » acquiesça Léa en baissant la voix. « Mais c’est quand même super cool. C’est comme un super-pouvoir ou quelque chose du genre. »
Charlye n’était pas sûre que « cool » soit le terme approprié, mais elle appréciait l’enthousiasme de son amie.
Elles arrivèrent au collège quelques minutes avant la sonnerie. La cour était remplie d’élèves discutant en petits groupes. Charlye balaya la zone du regard, son cœur faisant un bond quand elle aperçut Nicolas près de l’entrée, riant avec ses amis. Il portait son sweat à capuche bleu préféré avec un t-shirt jaune en dessous, ses écouteurs noirs autour du cou comme d’habitude.
Le bracelet écarlate se mit à chauffer contre sa peau.
« Oh non, » murmura Charlye. « Nicolas est là. »
« Et alors? » dit Léa avec un sourire en coin. « Tu ne peux pas l’éviter éternellement. Ça fait trois jours que tu te caches. »
« Tu ne comprends pas, » soupira Charlye. « Comment je peux le regarder en face après… tu sais. »
« Charlye, franchement, ce n’était pas si grave. Tout le monde a des accidents. »
« Pas comme ça, et pas devant le garçon qu’on… »
Elle s’interrompit, son visage s’empourprant. Le bracelet devenait de plus en plus chaud.
« Qu’on aime? » compléta Léa avec un sourire taquin. « Allez, Charlye, ça se voit comme le nez au milieu de la figure que tu craques pour lui. »
Soudain, Charlye sentit une étrange sensation de picotement remonter de son poignet jusqu’à son bras. Le bracelet luisait maintenant d’un rouge intense, visible même à travers le tissu de sa manche.
« Léa, » murmura-t-elle, paniquée, « quelque chose se passe. »
Avant que son amie ne puisse répondre, la voix familière et mélodieuse de Dame Carmina résonna dans l’esprit de Charlye.
« Pourquoi te caches-tu, ma chère? Ce garçon devrait voir ta vraie nature, ta force, ta beauté… »
« Non, non, non, » chuchota frénétiquement Charlye, attirant le regard perplexe de Léa.
« À qui tu parles? »
Mais Charlye ne l’entendait plus. À sa grande horreur, elle vit que des filaments écarlates, semblables à de la fumée, commençaient à s’échapper de son bracelet et à tourbillonner autour d’elle.
« Que tout le monde voie ta transformation! » proclama la voix de Dame Carmina avec un enthousiasme théâtral.
Les filaments rouges s’intensifièrent, formant un tourbillon de plus en plus visible autour de Charlye. Quelques élèves commencèrent à pointer du doigt et à chuchoter. Nicolas lui-même se tourna dans sa direction, ses yeux s’écarquillant de surprise.
« Non! » s’écria Charlye, serrant son poignet contre sa poitrine et courant vers les toilettes des filles, ignorant les appels de Léa derrière elle.
Elle s’enferma dans une cabine, le cœur battant à tout rompre. Les filaments rouges continuaient de tourbillonner autour d’elle, bien que moins intensément maintenant qu’elle était seule.
« Arrêtez ça! » supplia-t-elle, s’adressant directement au bracelet. « Qu’est-ce que vous me faites? »
Le miroir des toilettes s’illumina d’une lueur rougeâtre, et le visage de Dame Carmina apparut, rayonnant de satisfaction.
« Je t’aide simplement à embrasser ta nature, ma chérie. »
« En m’humiliant publiquement? » sanglota Charlye. « Je ne veux pas que tout le monde sache que j’ai mes règles! C’est privé! »
Le visage de Dame Carmina se fit désapprobateur. « Privé? Pourquoi cacher quelque chose d’aussi naturel, d’aussi puissant? Dans mon temps, les jeunes filles étaient célébrées lorsqu’elles entraient dans le cercle des femmes. »
« On n’est plus dans votre temps! » rétorqua Charlye avec une véhémence qui la surprit elle-même. « Et je ne veux pas être ‘célébrée’ pour quelque chose d’aussi… personnel. »
Un coup à la porte de la cabine interrompit leur échange.
« Charlye? C’est moi, Léa. Qu’est-ce qui se passe? Est-ce que ça va? »
Le visage de Dame Carmina disparut du miroir, non sans un dernier regard désapprobateur.
Charlye essuya ses larmes et ouvrit lentement la porte. Léa se tenait là, l’air inquiet, tenant le sac à bandoulière noir que Charlye avait laissé tomber dans sa fuite.
« Charlye, tu vas bien? Tout le monde a vu cette espèce de… brume rouge autour de toi. C’était quoi? »
Charlye regarda son bracelet. Les filaments avaient disparu, mais l’objet luisait toujours d’un rouge profond.
« C’est ce bracelet, Léa. Il est… magique ou je ne sais quoi. Et il y a cette femme, Dame Carmina, qui apparaît dans les miroirs et me parle. Elle dit que c’est lié à… tu sais… mes premières règles. »
Elle s’attendait à ce que Léa éclate de rire ou la regarde comme si elle était devenue folle, mais son amie se contenta de hocher lentement la tête.
« Ma grand-mère parle parfois d’esprits qui guident les filles pendant cette période, » dit-elle doucement. « Dans sa culture, c’est considéré comme un moment sacré. »
« Eh bien, Dame Carmina veut que ce soit un moment public, et c’est hors de question, » grogna Charlye. « Elle a presque fait un spectacle de moi devant tout le monde… devant Nicolas. »
Léa posa une main réconfortante sur son épaule. « Qu’est-ce qu’on fait alors? »
Charlye soupira, se sentant soudain très fatiguée. « Je ne sais pas. Je ne peux pas enlever ce bracelet, et je ne peux pas contrôler ce qu’il fait. »
« Ma grand-mère pourrait peut-être aider, » suggéra Léa. « Elle connaît beaucoup de choses sur les traditions et les symboles. On pourrait aller la voir après les cours? »
Charlye hocha la tête, reconnaissante. « Merci, Léa. »
La sonnerie retentit, signalant le début des cours.
« Oh non, » gémit Charlye. « On a maths en première heure. »
« Avec Nicolas assis juste devant toi, » compléta Léa avec un petit sourire. « Tu crois que le bracelet va recommencer son spectacle lumineux? »
« J’espère pas, » murmura Charlye en regardant l’objet écarlate avec méfiance.
Elles sortirent des toilettes et se dirigèrent vers leur salle de classe. En entrant, Charlye garda la tête baissée, mais elle sentit immédiatement le regard de Nicolas sur elle. Le bracelet se mit à chauffer doucement.
« Contrôle-le, » chuchota Léa en serrant brièvement sa main. « Tu es plus forte que ce bracelet bizarre. »
Charlye prit une profonde inspiration et se concentra intensément. *C’est mon corps, mes émotions, pas les vôtres, Dame Carmina,* pensa-t-elle avec détermination.
À sa grande surprise, la chaleur du bracelet diminua légèrement.
Elle s’installa à sa place, juste derrière Nicolas. Il se retourna un instant, lui jetant un regard curieux avant de se concentrer à nouveau sur le tableau.
Ce bref contact visuel suffit à faire battre le cœur de Charlye plus vite, mais cette fois, le bracelet resta calme. Une petite victoire.
Pendant que le professeur de mathématiques expliquait une nouvelle formule, Charlye réfléchissait. Si elle pouvait influencer le comportement du bracelet par sa volonté, peut-être n’était-elle pas totalement impuissante face à Dame Carmina après tout.
Une feuille de papier pliée atterrit discrètement sur son bureau. Elle l’ouvrit avec précaution.
*Joli bracelet. Il est nouveau?* C’était l’écriture de Nicolas.
Charlye sentit son cœur faire un bond. Il lui avait écrit un mot! Et il avait remarqué son bracelet, pas l’embarrassant nuage rouge. Le bracelet écarlate émit une douce lueur, mais sans les effets spectaculaires de plus tôt.
Peut-être que cette histoire étrange n’allait pas forcément ruiner sa vie sociale après tout.
Elle griffonna rapidement une réponse : *Oui, c’est un cadeau. Je ne peux pas l’enlever.*
Elle hésita, puis ajouta : *Merci pour la note. Je pensais que tu ne voulais plus me parler.*
Elle fit passer le papier à Nicolas, qui le lut discrètement. Il se retourna légèrement et lui adressa un sourire perplexe, puis écrivit quelque chose et lui rendit le papier.
*Pourquoi je ne voudrais plus te parler? J’aime bien ton bracelet d’amitié, je le porte toujours (regarde mon poignet).*
Charlye leva les yeux et remarqua effectivement le bracelet d’amitié qu’elle lui avait offert, attaché à son poignet gauche. Son cœur fit un nouveau bond.
Le bracelet écarlate émit une pulsation chaude, presque réconfortante cette fois. Peut-être que Dame Carmina n’était pas complètement insensible à ses sentiments après tout.
Mais Charlye restait sur ses gardes. L’incident de la cour lui avait montré que ce bracelet mystérieux avait le pouvoir de l’embarrasser terriblement. Et elle n’avait aucune idée de ce que Dame Carmina prévoyait pour la suite.
Une chose était sûre : elle devait apprendre à maîtriser ce bracelet avant qu’il ne prenne complètement le contrôle de sa vie.
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 141