Les Jardins Suspendus étaient encore plus merveilleux que Mattéo ne l’avait imaginé. Perchés sur les toits de la ville, ils formaient un labyrinthe de terrasses verdoyantes reliées par des ponts de bois et des escaliers de pierre. Des arbres centenaires poussaient dans d’énormes jardinières, leurs branches s’entrelaçant pour former des voûtes naturelles. L’air embaumait la lavande et le jasmin.
Minette avançait avec assurance sur les sentiers de gravier, s’arrêtant parfois pour humer l’air. Sa queue noire se balançait comme un métronome, et ses yeux verts scrutaient chaque recoin.
« Tu sais où nous allons, toi, » murmura Mattéo en la suivant.
La boussole dorée que lui avait donnée Madame Plumeverte tournait lentement, son aiguille pointant vers le cœur des jardins. Plus ils avançaient, plus la Plume de l’Observation dans sa poche vibrait d’excitation.
Ils arrivèrent devant un immense chêne dont le tronc était si large que six personnes se tenant par la main n’auraient pas pu en faire le tour. Ses branches s’élevaient vers le ciel comme les piliers d’une cathédrale végétale. Dans ses hauteurs, Mattéo aperçut des formes sombres : des hiboux de toutes tailles, des chouettes aux plumages variés, des effraies au visage en forme de cœur.
« Incroyable, » souffla-t-il.
Soudain, un hibou grand-duc descendit en piqué et se posa sur une branche à hauteur de ses yeux. C’était le plus magnifique rapace que Mattéo ait jamais vu : ses plumes étaient d’un brun doré moucheté d’or véritable, et ses yeux orange brillaient d’une intelligence presque humaine.
L’oiseau inclina la tête et émit un hululement mélodieux. À la grande surprise de Mattéo, il comprit parfaitement ce qu’il disait :
« Salutations, jeune porteur de plume. Je suis Astérius, gardien du Chêne des Murmures. Le Grand Hibou nous a prévenus de ta venue. »
« Vous… vous pouvez parler ? » balbutia Mattéo.
« Tous les hiboux peuvent parler, » répondit Astérius avec ce qui ressemblait à un sourire. « Mais seuls ceux qui portent une Plume d’Oracle peuvent nous comprendre. C’est l’un des dons de l’Observation. »
Il déploya ses ailes majestueuses. « La deuxième plume que tu cherches est ici, cachée dans notre arbre. Mais pour la mériter, tu dois réussir l’Épreuve du Messager. »
« Quelle épreuve ? » demanda Mattéo, nerveux.
Astérius pointa du bec vers le sommet de l’arbre. « Là-haut se trouve Sophia, notre doyenne. Elle a plus de cent ans et détient la sagesse de mille observations. Mais elle ne peut plus voler, et elle a un message urgent à transmettre aux hiboux des quatre coins de la ville. »
« Je ne comprends pas. Comment pourrais-je aider ? Je ne sais pas voler. »
Le hibou émit un petit rire musical. « L’épreuve ne consiste pas à voler, jeune observateur, mais à comprendre. Sophia va te confier son message, et tu devras trouver un moyen de le transmettre à nos frères dispersés dans la ville. Mais attention : le message ne peut être dit qu’une seule fois, et tu ne peux pas l’écrire. Tu dois utiliser tes dons d’observation pour trouver une autre solution. »
Mattéo leva les yeux vers la cime de l’arbre. Une échelle de corde était attachée au tronc, disparaissant dans le feuillage. « Et si j’échoue ? »
« Alors la Plume de la Question restera cachée, et tu devras affronter le Professeur Perfectus avec une plume en moins. »
Mattéo prit une grande inspiration. Il pensait à Madame Plumeverte et à ses paroles : « Le courage ne consiste pas à ne pas avoir peur. Il consiste à agir malgré la peur. »
Il commença à grimper. L’échelle de corde se balançait sous son poids, mais il s’accrocha fermement. Minette, avec l’agilité naturelle des chats, grimpa le long du tronc et le dépassa rapidement.
À mi-hauteur, Mattéo s’arrêta pour reprendre son souffle. Il pouvait voir toute la ville s’étendre à ses pieds : la bibliothèque avec son dôme de cuivre, l’école où le Professeur Perfectus continuait probablement sa leçon sur la perfection, les rues où les gens vaquaient à leurs occupations sans se douter qu’une bataille magique se déroulait au-dessus de leurs têtes.
Au sommet de l’arbre, dans une cavité naturelle tapissée de mousse dorée, il découvrit Sophia. C’était la plus ancienne chouette qu’il ait jamais vue. Ses plumes étaient d’un blanc nacré strié d’argent, et ses yeux d’un bleu profond semblaient contenir tous les secrets du monde.
« Approche-toi, jeune gardien, » dit-elle d’une voix douce comme le murmure du vent. « J’ai attendu si longtemps quelqu’un qui puisse m’entendre. »
Mattéo s’agenouilla respectueusement. « Astérius m’a dit que vous aviez un message à transmettre. »
« En effet. Un message d’une importance capitale. » Ses yeux brillèrent d’urgence. « Le Professeur Perfectus a commencé à installer ses Extracteurs de Magie dans toute la ville. Ce sont des appareils qui aspirent la magie des livres et des lieux de savoir. Bientôt, tous les hiboux perdront leur capacité à parler, toutes les bibliothèques deviendront silencieuses, et la connaissance se figera à jamais. »
Mattéo sentit son estomac se nouer. « Que peuvent faire les hiboux ? »
« Ils doivent se rassembler cette nuit, à minuit, au sommet de la Tour des Vents. Ensemble, ils pourront créer un Chant de Résistance qui protégera temporairement la magie de la ville. Mais ils doivent tous être prévenus avant le coucher du soleil. »
Elle tendit vers lui une patte délicate. « Voici mon message : ‘Quand la lune touchera la flèche de la tour, que résonne le chant des mille voix. La magie unie résiste à l’ordre parfait.’ Tu dois le transmettre aux hiboux des Jardins Botaniques, du Parc Municipal, du Cimetière des Anciens et de la Cathédrale. »
Mattéo mémorisa soigneusement le message. « Mais comment vais-je faire ? Il me faudrait des heures pour aller à pied dans tous ces endroits ! »
Sophia sourit mystérieusement. « C’est là qu’interviennent tes dons d’observation, jeune gardien. Regarde autour de toi. Qu’est-ce qui pourrait porter un message plus vite que tes jambes ? »
Mattéo observa attentivement. D’abord, il ne vit que les feuilles et les branches. Puis son regard fut attiré par quelque chose d’inhabituel : de petits miroirs étaient fixés aux branches, orientés vers différents points de la ville. En suivant leur direction, il aperçut d’autres miroirs, plus lointains, qui scintillaient au soleil.
« Un système de signalisation par miroirs ! » s’exclama-t-il.
« Exactement ! » approuva Sophia. « Les hiboux l’utilisent depuis des siècles pour communiquer à distance. Mais il faut connaître leur code. »
Elle lui montra une série de symboles gravés dans l’écorce : des combinaisons de points et de tirets, des figures géométriques, des représentations stylisées d’oiseaux.
« C’est comme l’alphabet morse ! » réalisa Mattéo. « Mais avec des symboles de hiboux ! »
Il se mit au travail, déchiffrant patiemment le code. Sa passion pour l’observation et son habitude de remarquer les détails l’aidèrent énormément. Bientôt, il comprit le système : chaque orientation de miroir correspondait à un lieu, chaque séquence de reflets à une lettre ou un mot.
Il commença à manipuler les miroirs, envoyant le message de Sophia vers les quatre points de la ville. Les reflets dansaient de miroir en miroir, transportant l’information à la vitesse de la lumière.
Aux Jardins Botaniques, un hibou moyen-duc reçut le signal et hulula son approbation. Au Parc Municipal, une famille de chouettes effraies battit des ailes en signe de compréhension. Au Cimetière des Anciens, un grand-duc majestueux inclina solennellement la tête. À la Cathédrale, une chouette chevêche émit un trille aigu d’acquiescement.
« Magnifique ! » s’exclama Sophia. « Tu as réussi l’épreuve, jeune gardien. Tu as utilisé tes dons d’observation pour trouver une solution créative à un problème complexe. »
Elle fouilla dans son nid et en sortit une plume d’un bleu profond ornée de points d’interrogation dorés qui scintillaient comme des étoiles.
« Voici la Plume de la Question, » dit-elle en la lui tendant. « Elle t’aidera à poser les bonnes questions au bon moment. Car parfois, une question bien posée vaut mieux que mille réponses toutes faites. »
Mattéo prit délicatement la plume. Dès qu’elle toucha sa paume, il sentit son esprit s’ouvrir. Des questions qu’il n’avait jamais osé formuler jaillirent dans sa tête : « Et si les erreurs étaient en fait des découvertes déguisées ? Et si ma timidité était en réalité une forme d’observation approfondie ? Et si j’avais plus de courage que je ne le pensais ? »
« Garde ces questions précieusement, » conseilla Sophia. « Elles te guideront vers les autres plumes. Mais attention : le Professeur Perfectus a maintenant deviné que tu possèdes des plumes. Il va redoubler d’efforts pour t’arrêter. »
Comme pour confirmer ses paroles, un bruit mécanique résonna dans les jardins. En contrebas, Mattéo vit une silhouette familière en costume bleu nuit qui installait un étrange appareil près de l’entrée des jardins.
« Un Extracteur de Magie, » murmura Sophia avec inquiétude. « Il va aspirer toute la magie de cet endroit. Vous devez partir, maintenant ! »
Mattéo redescendit rapidement, ses deux plumes serrées dans ses poches. En bas, Astérius l’attendait avec Minette.
« La nuit va être longue, jeune gardien, » dit le hibou. « Mais tu as prouvé que tu étais digne de confiance. Va maintenant, et que tes questions te mènent vers la vérité. »
Mattéo s’éloigna en courant, Minette sur ses talons. Derrière eux, l’Extracteur de Magie commençait à bourdonner sinistrement. Mais cette fois, Mattéo ne fuyait pas par peur : il courait vers sa prochaine aventure, armé de ses observations et de ses questions.
La boussole dorée pointait maintenant vers les Souterrains Oubliés, là où l’attendait sa prochaine épreuve.
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 107