Le lendemain matin, Mattéo se réveilla avec la plume d’Oracle serrée dans sa main. Avait-il vraiment vécu cette aventure extraordinaire ou n’était-ce qu’un rêve particulièrement vivace ? La lueur dorée qui pulsait doucement entre ses doigts lui confirma que tout était bien réel.
Minette était assise sur le rebord de la fenêtre, observant attentivement les oiseaux dans le jardin. Ses yeux verts brillaient d’une intelligence nouvelle, comme si elle aussi avait été touchée par la magie de la bibliothèque.
« Mattéo, le petit-déjeuner est prêt ! » appela sa mère depuis la cuisine.
En descendant les escaliers, Mattéo glissa la plume dans la poche de son pull bleu marine. Son père, Antoine, était déjà attablé, consultant ses dossiers comptables avec sa méticulosité habituelle. Ses cheveux châtains commençaient à grisonner sur les tempes, et ses lunettes de lecture étaient perchées sur le bout de son nez.
« Bonjour mon grand, » dit Antoine en levant les yeux de ses papiers. « Ta mère m’a dit que tu avais l’air préoccupé hier soir. Tout va bien ? »
Mattéo hésita. Comment expliquer à ses parents qu’une statue de hibou lui avait parlé et qu’il devait maintenant sauver la bibliothèque d’un professeur maléfique ? Ils penseraient qu’il avait trop d’imagination.
« C’est… c’est juste l’école, » marmonna-t-il en s’asseyant.
Claire posa devant lui un bol de chocolat chaud fumant et des tartines beurrées. Ses cheveux bruns étaient rassemblés en un chignon décontracté, et elle portait sa robe verte préférée, celle qui lui donnait l’air d’une fée des livres.
« Tu sais, » dit-elle doucement, « si quelque chose te tracasse, tu peux toujours nous en parler. Nous sommes là pour t’aider. »
Mattéo hocha la tête, mais garda le silence. Il but son chocolat à petites gorgées, sentant la plume vibrer légèrement dans sa poche, comme si elle l’encourageait.
À l’école, les choses prirent une tournure inattendue. Madame Dubois, son institutrice, annonça avec enthousiasme : « Mes chers élèves, nous avons aujourd’hui la chance d’accueillir le célèbre Professeur Perfectus ! Il va nous parler de l’importance de la précision dans les connaissances. »
Le cœur de Mattéo se serra. Le professeur entra dans la classe avec la même démarche mesurée que la veille. Son costume bleu nuit était impeccable, pas un pli, pas une tache. Il consulta sa montre en argent et balaya la classe de son regard glacial.
« Bonjour, jeunes esprits, » déclara-t-il d’une voix autoritaire. « Je suis ici pour vous enseigner une leçon fondamentale : l’erreur est l’ennemi de la connaissance. »
Il sortit de sa mallette un projecteur étrange qui diffusa des images de livres aux pages blanches. « Voyez-vous, les livres parfaits ne contiennent aucune approximation, aucune incertitude. Tout y est exact, définitif, immuable. »
Mattéo sentit la plume dans sa poche devenir brûlante. Autour de lui, ses camarades écoutaient, fascinés par cette présentation. Mais lui voyait autre chose : les images montraient des bibliothèques vidées de leur magie, des livres devenus froids et sans vie.
« Qui peut me donner un exemple de connaissance parfaite ? » demanda le professeur.
Plusieurs mains se levèrent. Mattéo connaissait la réponse – il savait que la vraie connaissance naissait de l’observation, de l’expérimentation, parfois même des erreurs – mais il n’osait pas lever la main. Sa gorge se nouait rien qu’à l’idée de parler devant toute la classe.
Le professeur Perfectus sembla remarquer son silence et se dirigea directement vers lui. « Toi, le jeune homme aux cheveux blonds. Tu sembles avoir quelque chose à dire. »
Tous les regards se tournèrent vers Mattéo. Il sentit ses joues s’empourprer et ses mains devenir moites. « Je… non, monsieur. »
« Allons, » insista le professeur avec un sourire qui n’avait rien de bienveillant. « Surely tu as une opinion sur la perfection de la connaissance ? »
Mattéo baissa les yeux, incapable de prononcer un mot. La plume dans sa poche pulsait furieusement, comme si elle tentait de lui donner du courage, mais la peur était plus forte.
« Comme c’est décevant, » soupira le professeur. « Voilà bien le problème avec les enfants d’aujourd’hui. Ils préfèrent se taire plutôt que de risquer une erreur. Mais le silence n’est qu’une autre forme d’échec. »
Les mots frappèrent Mattéo comme une gifle. Autour de lui, quelques élèves ricanèrent. Il se sentit encore plus petit qu’avant.
Le professeur continua sa présentation, mais Mattéo n’écoutait plus. Il fixait ses mains posées sur sa table, se sentant complètement inutile. Comment pourrait-il jamais sauver la bibliothèque s’il n’arrivait même pas à parler en classe ?
Soudain, un bruissement étrange se fit entendre. Les pages des manuels scolaires se mirent à frémir, comme agitées par un vent invisible. Le professeur Perfectus s’arrêta net et scruta la salle avec suspicion.
« Qu’est-ce que… ? » commença-t-il.
À cet instant, la porte de la classe s’ouvrit doucement. Une femme âgée entra, s’appuyant sur une canne sculptée en forme de branche d’arbre. Ses cheveux blancs étaient tressés de fils dorés, et ses yeux d’un bleu profond semblaient contenir toute la sagesse du monde. Elle portait une longue cape verte ornée de motifs représentant des plumes et des livres ouverts.
« Pardonnez-moi l’interruption, » dit-elle d’une voix douce mais ferme. « Je suis Madame Plumeverte, la nouvelle bibliothécaire itinérante. J’ai cru comprendre qu’il y avait ici un jeune homme passionné d’ornithologie ? »
Son regard se posa directement sur Mattéo, et il sentit immédiatement une chaleur rassurante l’envahir.
Le professeur Perfectus fronça les sourcils. « Madame, nous sommes en pleine leçon sur l’importance de la précision. Votre intervention est… inopportune. »
« Oh, mais la précision, c’est justement mon domaine ! » répliqua Madame Plumeverte avec un sourire malicieux. « Savez-vous, par exemple, qu’un hibou peut tourner sa tête de 270 degrés, mais pas de 360 comme beaucoup le croient ? Cette ‘erreur’ commune nous en apprend plus sur l’anatomie des rapaces nocturnes que bien des vérités assénées sans réflexion. »
Elle s’approcha de Mattéo. « N’est-ce pas, jeune observateur ? »
Mattéo leva timidement les yeux vers elle. Dans son regard bienveillant, il lut une connaissance qui dépassait largement celle des livres. Elle savait. Elle savait pour la plume, pour le Grand Hibou, pour tout.
« Madame Dubois, » continua Madame Plumeverte, « pourriez-vous me confier ce jeune homme quelques minutes ? J’aimerais lui montrer quelque chose dans ma collection d’ouvrages ornithologiques. »
L’institutrice, visiblement impressionnée par l’autorité naturelle de la vieille dame, acquiesça. Le professeur Perfectus, lui, semblait contrarié mais n’osa pas protester.
Mattéo se leva et suivit Madame Plumeverte hors de la classe. Dans le couloir, elle se tourna vers lui et chuchota : « Le Grand Hibou m’a envoyée. Tu as échoué à ta première épreuve, n’est-ce pas ? »
Mattéo hocha la tête, honteux.
« C’est normal, » dit-elle en posant une main rassurante sur son épaule. « Crois-tu que les plus grands explorateurs n’ont jamais eu peur ? Que les scientifiques les plus brillants n’ont jamais douté ? L’échec n’est que le premier pas vers la vraie connaissance. »
Elle sortit de sa cape un petit livre relié de cuir vert. « Ceci t’aidera à comprendre ce que tu portes dans ta poche. Mais d’abord, nous devons quitter cet endroit. Le professeur Perfectus a des moyens de détecter la magie des plumes, et il ne faut pas qu’il découvre que tu en possèdes une. »
Elle l’emmena rapidement vers la sortie de l’école. « Ta vraie éducation va commencer maintenant, Mattéo. Es-tu prêt à apprendre ce que les livres ne peuvent pas enseigner ? »
Mattéo serra la plume dans sa poche et, pour la première fois de la journée, réussit à articuler clairement : « Oui, madame. Je suis prêt. »
Derrière eux, dans la classe, le professeur Perfectus sortait un étrange détecteur de sa mallette. L’appareil émit un bip sourd en direction du couloir, mais il était déjà trop tard. Mattéo et sa mystérieuse protectrice avaient disparu.
« Intéressant, » murmura-t-il en ajustant ses lunettes. « Très intéressant… »
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 107