L’école était dans un état de chaos organisé lorsque Cylia y arriva finalement. Des ouvriers s’affairaient à installer une barrière au milieu de la cour, divisant l’espace en deux parties distinctes – Est et Ouest. Des panneaux aux couleurs différentes étaient accrochés de chaque côté : bleu clair pour l’Est, bleu foncé pour l’Ouest.
En entrant dans sa classe, Cylia constata que le même processus était en cours à l’intérieur. Les pupitres étaient réarrangés, séparés par une ligne tracée au sol. Sur le tableau noir, l’enseignante avait écrit : « Choisissez votre place selon le royaume de votre famille ».
Les élèves se tenaient en petits groupes, discutant avec animation et anxiété de ce qui se passait. Certains semblaient excités par la nouveauté, d’autres visiblement inquiets.
« Cylia ! » appela Romain en l’apercevant. Il se précipita vers elle, son visage habituellement jovial marqué par l’inquiétude. « Où étais-tu ? J’étais mort d’inquiétude ! »
« Je suis allée voir Elian, » murmura-t-elle en l’entraînant dans un coin tranquille. « Les gardes de la Reine l’ont attaqué. »
« Quoi ? » s’exclama Romain, baissant rapidement la voix en voyant quelques têtes se tourner vers eux. « Il va bien ? »
« Il est blessé, mais vivant, » répondit Cylia. « Mais ce n’est pas le pire. Le Grand Partage a été avancé. La cérémonie aura lieu demain, pas dans trois jours. »
Les yeux de Romain s’écarquillèrent d’horreur. « Demain ? Mais c’est trop tôt ! Personne n’est prêt ! »
« C’est exactement ce que veut la Reine, » expliqua Cylia, jetant des regards méfiants autour d’elle pour s’assurer que personne ne les écoutait. « Elle veut précipiter les choses avant que quelqu’un ne puisse s’organiser contre elle. »
Elle tira discrètement sur sa manche pour révéler le bracelet à Romain. « J’ai appris à l’utiliser un peu mieux. Demain, pendant la cérémonie, je devrai essayer de récupérer les deux autres fragments. »
« C’est trop dangereux ! » protesta Romain. « La Reine sera entourée de gardes. Ils t’arrêteront dès que tu t’approcheras. »
« Je n’ai pas le choix, » répondit Cylia avec une détermination qui la surprit elle-même. « Si le Grand Partage se produit, tout sera divisé pour toujours – la vallée, les familles, les amis… »
Elle pensa à ses propres parents, à ce qu’elle avait vu grâce au Fragment de l’Union. Si la vallée était définitivement séparée, l’influence de la Reine Divisionnaire rendrait impossible la guérison de leur relation, même si une petite flamme d’amour existait encore entre eux.
« Je t’aiderai, » déclara fermement Romain, interrompant ses pensées. « Quoi qu’il arrive, je serai à tes côtés. »
Cylia lui sourit avec gratitude. Avoir Romain comme allié lui donnait un peu plus de courage face à la tâche intimidante qui l’attendait.
La cloche sonna, signalant le début des cours. Tous les élèves prirent place, mais contrairement à d’habitude, un malaise palpable régnait dans la classe. Certains enfants hésitaient, ne sachant de quel côté s’asseoir.
L’enseignante, Mme Bérénice, entra, son visage habituellement souriant aujourd’hui grave et tendu.
« Mes chers élèves, » commença-t-elle, « comme vous pouvez le constater, des changements sont en cours dans notre école. Par ordre de Sa Majesté la Reine Divisionnaire, nous devons nous préparer au Grand Partage. »
Elle désigna la ligne au sol qui séparait désormais la classe.
« À partir de demain, après la cérémonie officielle, vous devrez vous asseoir du côté correspondant au royaume choisi par votre famille. Pour aujourd’hui, vous pouvez vous asseoir où vous voulez, mais je vous conseille de commencer à vous habituer à cette… nouvelle organisation. »
Cylia et Romain échangèrent un regard entendu et s’assirent délibérément à cheval sur la ligne, leurs pupitres se touchant. Quelques autres élèves, inspirés par leur geste, firent de même.
Mme Bérénice remarqua leur petit acte de rébellion mais ne dit rien, se contentant d’un imperceptible hochement de tête approbateur.
« Aujourd’hui, » continua-t-elle, « nous devions étudier l’histoire de la vallée d’Harmonia, mais le nouveau programme imposé par le palais nous demande d’enseigner séparément l’histoire de l’Est et de l’Ouest. »
Elle prit une craie et écrivit au tableau deux titres : « Gloire de l’Est » et « Puissance de l’Ouest ».
« Cependant, » ajouta-t-elle avec une lueur de défi dans le regard, « puisque le Grand Partage n’est officiellement effectif que demain, je vais vous raconter une dernière fois l’histoire complète de notre vallée. »
Pendant l’heure qui suivit, Mme Bérénice leur parla de la fondation d’Harmonia, de la découverte du Cristal et de la paix qu’il avait apportée. Son récit différait sensiblement de celui d’Elian – elle ne mentionnait pas les Gardiens ni le fait que le Cristal avait trois aspects – mais Cylia comprit que l’enseignante, comme beaucoup d’habitants, ne connaissait probablement pas toute la vérité.
La journée se poursuivit dans cette atmosphère étrange, suspendue entre le monde d’avant et celui qui s’annonçait. À la récréation, Cylia remarqua que certains enfants commençaient déjà à se regrouper selon le choix présumé de leur famille, Est ou Ouest.
« C’est comme si le poison de la division se répandait partout, » murmura-t-elle à Romain alors qu’ils observaient deux filles qui, la veille encore meilleures amies, se tenaient maintenant de part et d’autre de la cour, s’ignorant ostensiblement.
« Plus la cérémonie approche, plus l’influence de la Reine est forte, » répondit Romain, répétant ce qu’Elian leur avait expliqué. « Mon père dit que même au palais, les gens qui travaillaient ensemble depuis des années ne se parlent plus. »
Cylia sentit le bracelet chauffer légèrement contre son poignet, comme pour lui rappeler sa mission. Elle devait se préparer pour demain, mais comment ? Elle avait encore tant à apprendre sur le Fragment et ses pouvoirs.
« Tu crois que ta famille a choisi quel royaume ? » demanda-t-elle à Romain, réalisant qu’ils n’avaient pas abordé ce sujet personnel.
« L’Ouest, » répondit-il. « Mon père dit que c’est là que se trouvent les meilleurs champs pour l’agriculture. Et vous ? »
« Aussi l’Ouest, apparemment, » dit Cylia, soulagée qu’au moins, si elle échouait demain, elle ne serait pas séparée de son meilleur ami. « Mais… » elle hésita, ne sachant pas si elle devait partager cette information personnelle.
« Mais quoi ? » encouragea doucement Romain.
« Mes parents vont se séparer, » avoua-t-elle finalement, la gorge nouée. « Ils me l’ont annoncé ce matin. Ils vivront dans des maisons différentes, même s’ils restent dans le même royaume. »
Romain resta silencieux un moment, puis posa maladroitement une main sur l’épaule de son amie.
« Je suis désolé, Cylia. Ça craint. »
Ce n’était pas très éloquent, mais la sincérité de son ami valait tous les discours du monde. Cylia lui sourit faiblement.
« Merci. C’est pour ça aussi que je dois arrêter le Grand Partage. J’ai vu quelque chose ce matin, quand j’ai utilisé le Fragment… »
Elle lui raconta sa vision, comment elle avait perçu que ses parents s’aimaient encore malgré leurs problèmes, et comment l’influence de la Reine Divisionnaire amplifiait leurs désaccords.
« Alors si tu réussis demain, tes parents pourraient se réconcilier ? » demanda Romain, plein d’espoir.
« Je ne sais pas, » admit honnêtement Cylia. « Elian a dit que certaines séparations sont naturelles et nécessaires. Mais au moins, sans l’influence de la Reine, ils auraient une chance de voir clairement ce qu’ils ressentent vraiment. »
La cloche sonna à nouveau, les rappelant en classe. Le reste de la journée passa comme dans un brouillard pour Cylia, son esprit entièrement focalisé sur la cérémonie du lendemain et ce qu’elle devrait accomplir.
À la fin des cours, alors que les élèves se dispersaient, Mme Bérénice l’appela.
« Cylia, puis-je te parler un instant ? »
Intriguée, Cylia s’approcha du bureau de l’enseignante, faisant signe à Romain de l’attendre dehors.
« Oui, Madame ? »
Mme Bérénice attendit que le dernier élève soit sorti avant de parler, sa voix soudain plus basse et urgente.
« Cylia, j’ai remarqué ton bracelet aujourd’hui. »
Cylia sentit son cœur s’arrêter. Elle avait pourtant été si prudente pour le garder caché sous sa manche !
« Ne t’inquiète pas, » la rassura rapidement l’enseignante en voyant son expression alarmée. « Je ne dirai rien à personne. En fait, je voulais te donner ceci. »
Elle sortit d’un tiroir une petite boîte en bois qu’elle glissa discrètement vers Cylia.
« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Cylia, méfiante.
« Un cadeau d’Elian, » répondit Mme Bérénice avec un sourire complice. « Il m’a contactée ce matin. Il m’a dit que tu saurais quoi en faire. »
Cylia ouvrit prudemment la boîte. À l’intérieur se trouvait une petite fiole contenant ce qui semblait être de la poussière de cristal bleutée, ainsi qu’un morceau de parchemin plié.
« Tu n’es pas seule, Cylia, » murmura Mme Bérénice. « Beaucoup d’entre nous n’acceptent pas ce Grand Partage. Nous attendons juste… un signe, une opportunité. »
Elle jeta un regard vers la fenêtre, s’assurant que personne n’écoutait.
« Demain, pendant la cérémonie, quoi que tu décides de faire, sache que tu auras des alliés dans la foule. Des gens prêts à te soutenir. »
Cylia ne savait que répondre, abasourdie par cette révélation inattendue.
« Merci, » balbutia-t-elle finalement, refermant la boîte et la glissant dans son sac.
« Va maintenant, » dit Mme Bérénice en reprenant son ton d’enseignante. « Et n’oublie pas de réviser tes tables de multiplication pour demain ! »
Ce dernier ajout, prononcé plus fort, était clairement destiné à quiconque pourrait écouter. Cylia hocha la tête et sortit, l’esprit bouillonnant de questions.
Romain l’attendait près du grand chêne, visiblement impatient.
« Qu’est-ce qu’elle te voulait ? » demanda-t-il dès qu’elle le rejoignit.
Cylia lui montra discrètement la boîte. « Un message d’Elian. Et apparemment, Mme Bérénice est de notre côté. Elle dit qu’il y a d’autres personnes qui s’opposent au Grand Partage. »
Les yeux de Romain s’illuminèrent. « C’est génial ! Ça veut dire qu’on n’est pas seuls ! »
« Oui, mais ça ne change pas ce que je dois faire demain, » répondit Cylia, pragmatique. « Je dois quand même affronter la Reine et tenter de récupérer les fragments. »
Ils commencèrent à marcher vers leurs maisons, discutant à voix basse de ce qui les attendait le lendemain.
« Je dois lire ce livre qu’Elian m’a donné, » dit Cylia en tapotant son sac à dos. « Et comprendre ce qu’il y a dans cette boîte. »
« Tu veux que je vienne chez toi pour t’aider ? » proposa Romain.
Cylia secoua la tête. « Pas ce soir. Je dois aussi… parler avec mes parents. Essayer de comprendre certaines choses. »
Romain hocha la tête, compréhensif. « D’accord. Alors on se retrouve demain matin, avant la cérémonie ? Devant le vieux chêne de la place centrale ? »
« Parfait, » approuva Cylia. « Sois prudent, Romain. Et… merci d’être là. »
Ils se séparèrent à l’intersection qui menait à leurs maisons respectives. En s’éloignant, Cylia ne put s’empêcher de se retourner pour regarder son ami une dernière fois, se demandant si, après demain, leurs vies seraient à jamais changées.
Lorsqu’elle arriva chez elle, la maison était étrangement calme. Elle trouva sa mère dans la cuisine, préparant le dîner avec des gestes mécaniques, comme si son esprit était ailleurs.
« Je suis rentrée, » annonça doucement Cylia.
Diana sursauta légèrement, puis se tourna vers sa fille avec un sourire qui n’atteignait pas ses yeux.
« Bonjour, ma chérie. Comment était l’école ? »
« Bizarre, » répondit honnêtement Cylia. « Ils ont commencé à diviser les classes en Est et Ouest. »
Sa mère soupira, posant le couteau avec lequel elle coupait des légumes. « Tout va si vite… Ton père et moi pensions avoir plus de temps pour… pour nous organiser. »
« Où est papa ? » demanda Cylia, remarquant son absence.
« Il est allé chercher Suzie à la garderie, puis il doit passer à son nouvel appartement pour s’assurer que tout est prêt. »
Un silence inconfortable s’installa entre elles. Cylia hésita, puis se lança :
« Maman, est-ce que tu aimes encore papa ? »
La question, si directe et inattendue, sembla prendre Diana totalement au dépourvu. Elle fixa sa fille avec stupéfaction, puis ses yeux se remplirent de larmes.
« Oh, Cylia… Les choses ne sont pas si simples. »
« Mais tu n’as pas répondu à ma question, » insista doucement Cylia.
Diana s’essuya les yeux d’un revers de main et s’assit lourdement sur une chaise.
« Oui, d’une certaine façon, j’aime encore ton père, » admit-elle finalement. « On ne passe pas dix ans de sa vie avec quelqu’un, on ne crée pas une famille ensemble, sans qu’il reste de l’amour. Mais parfois, l’amour ne suffit pas. »
« Qu’est-ce qu’il faut d’autre ? » demanda Cylia, s’asseyant en face de sa mère.
« De la compréhension. De la communication. La capacité à traverser ensemble les moments difficiles au lieu de s’éloigner l’un de l’autre. » Diana soupira profondément. « Ton père et moi, nous avons… perdu ces choses en chemin. »
Cylia pensa au Fragment de l’Union à son poignet, à sa capacité à révéler et renforcer les liens existants. Si seulement elle pouvait l’utiliser maintenant pour aider ses parents à voir ce qu’elle avait vu ce matin…
Mais Elian l’avait avertie : le Fragment ne pouvait pas forcer les autres à voir la vérité. Elle devait trouver un autre moyen.
« Et si… » commença-t-elle prudemment, « et si vous essayiez de parler vraiment ? Pas de vous disputer, mais de parler, comme avant ? »
Diana regarda sa fille avec un mélange de tendresse et de tristesse. « Tu es si sage pour ton âge, Cylia. Mais crois-moi, nous avons essayé. »
« Peut-être pas de la bonne façon, » suggéra Cylia. « Peut-être que quelque chose vous empêche de vous voir clairement. »
Sa mère fronça les sourcils, intriguée par cette formulation. « Que veux-tu dire ? »
Cylia hésita, cherchant ses mots. Comment expliquer l’influence de la Reine Divisionnaire sans révéler ce qu’elle savait sur le Fragment ?
« J’ai remarqué que depuis l’annonce du Grand Partage, tout le monde se dispute plus. À l’école, des amis qui s’entendaient bien avant ne se parlent plus. C’est comme si… comme si l’idée même de division rendait les gens plus enclins à se séparer. »
Diana sembla réfléchir profondément à ces paroles. « C’est vrai que l’ambiance a changé dans toute la vallée ces derniers temps. Mais nos problèmes avec ton père ont commencé bien avant l’arrivée de cette nouvelle reine. »
« Mais peut-être qu’ils ont empiré récemment ? » suggéra Cylia, espérant planter une graine de doute dans l’esprit de sa mère.
Avant que Diana ne puisse répondre, la porte d’entrée s’ouvrit, laissant entrer Yvan et la petite Suzie, qui se précipita immédiatement vers sa sœur.
« Cylia ! Regarde ce que j’ai fait à la garderie ! » s’exclama-t-elle en brandissant fièrement un dessin coloré.
Cylia examina le dessin : il représentait leur famille – quatre personnages aux proportions approximatives, tenant tous par la main sous un grand soleil souriant. Une image si simple et pourtant si poignante dans les circonstances actuelles.
« C’est magnifique, Suzie, » dit-elle en serrant sa petite sœur contre elle, luttant contre l’émotion qui lui nouait la gorge.
Yvan s’approcha, saluant Cylia d’un signe de tête avant de se tourner vers Diana.
« J’ai presque fini d’aménager l’appartement, » annonça-t-il. « Les filles pourront venir dès ce week-end, si… enfin, si le Grand Partage permet encore ce genre d’arrangement. »
Le dîner fut une affaire silencieuse et tendue, seulement animée par le babillage insouciant de Suzie. Cylia observait ses parents, remarquant pour la première fois les petits regards qu’ils s’échangeaient quand ils pensaient que personne ne les voyait – des regards empreints de tristesse, de regret, et peut-être, quelque part, d’un amour qui n’avait pas complètement disparu.
Après avoir aidé à débarrasser la table, Cylia monta dans sa chambre, prétextant des devoirs à terminer. Une fois seule, elle sortit le livre qu’Elian lui avait donné et la petite boîte de Mme Bérénice.
Elle commença par déplier le parchemin de la boîte. L’écriture fine et élégante d’Elian s’étalait sur le papier :
*« Jeune Gardienne,*
*La poussière de cristal que tu tiens entre tes mains est la dernière relique du Cristal d’Harmonia dans son état originel, avant même qu’il ne soit divisé en trois fragments. J’ai confié cette boîte à Bérénice, car je savais qu’elle te la remettrait en toute sécurité.*
*Cette poussière a un pouvoir unique : elle peut, l’espace d’un instant, révéler la véritable nature des choses et des êtres. Utilisée au bon moment, elle pourrait être cruciale lors de ta confrontation avec la Reine.*
*Sois prudente, cependant. Son effet est bref et ne fonctionne qu’une seule fois. Choisis bien ton moment.*
*Courage, Cylia. La vallée entière compte sur toi, même si elle l’ignore encore.*
*Elian. »*
Cylia examina la fiole avec un respect renouvelé. Cette poussière pourrait être son atout secret face à la Reine Divisionnaire.
Elle se tourna ensuite vers le livre à la couverture violette. En l’ouvrant, elle découvrit qu’il s’agissait non pas d’un récit comme elle s’y attendait, mais d’un journal – le journal d’une précédente Gardienne des Liens nommée Elina, qui avait vécu plusieurs siècles auparavant.
Fascinée, Cylia commença à lire les entrées, découvrant l’histoire d’une jeune femme qui, comme elle, avait été choisie par le Fragment de l’Union pour accomplir une mission importante.
Elina décrivait en détail ses découvertes sur les pouvoirs du Fragment : comment il pouvait non seulement révéler et renforcer les liens existants, mais aussi, dans certaines circonstances exceptionnelles, créer des ponts temporaires entre des personnes séparées par de grandes distances.
Un passage en particulier attira l’attention de Cylia :
*« J’ai découvert aujourd’hui que le Fragment réagit à la musique et aux chansons qui parlent d’unité et d’amour. Lorsque j’ai chanté la vieille berceuse de ma grand-mère tout en tenant le Fragment, il s’est mis à vibrer d’une façon particulière, et tous ceux qui m’entouraient ont semblé momentanément plus proches les uns des autres, comme si les barrières invisibles entre eux s’étaient amincies. »*
Cylia réfléchit intensément. Une chanson… Cela lui rappelait une berceuse que sa mère lui chantait quand elle était petite, une chanson sur la vallée d’Harmonia et son cristal protecteur.
Le journal mentionnait également une technique pour amplifier le pouvoir du Fragment lors d’une confrontation directe avec une force opposée :
*« Le Fragment puise sa force dans les liens authentiques qui existent autour de son porteur. Plus ces liens sont nombreux et puissants, plus le Fragment devient fort. J’ai découvert qu’en me concentrant simultanément sur tous les liens qui me sont chers – famille, amis, mentors – je pouvais créer une sorte de bouclier autour de moi, impénétrable aux influences néfastes. »*
Voilà qui pourrait être crucial face à la Reine Divisionnaire, pensa Cylia. Si elle pouvait canaliser tous les liens qui l’unissaient aux personnes qu’elle aimait, peut-être pourrait-elle résister à la puissance combinée des fragments de la Clarté et de l’Obscurité.
Elle continua sa lecture tard dans la nuit, absorbant autant d’informations que possible sur les capacités du Fragment et les techniques pour l’utiliser efficacement.
Lorsque ses yeux commencèrent à se fermer de fatigue, elle rangea soigneusement le livre et la fiole de poussière de cristal dans son sac à dos, qu’elle prépara pour le lendemain.
Elle s’assura également d’y glisser le flacon d’Essence d’Harmonia qu’Elian lui avait confié, ainsi qu’une photo de sa famille – prise l’été dernier, quand ils étaient tous heureux et unis au bord du lac d’Harmonia.
Avant de se mettre au lit, elle s’approcha de sa fenêtre et regarda au loin, vers le palais qui se dressait au centre de la vallée. Demain, à cette heure-ci, soit elle aurait réussi à empêcher le Grand Partage, soit la vallée serait définitivement divisée.
Le poids de cette responsabilité était écrasant pour une fille de neuf ans, mais étrangement, Cylia ne se sentait pas seule. Le bracelet à son poignet émettait une douce chaleur rassurante, comme un ami silencieux lui promettant son soutien.
« Je suis prête, » murmura-t-elle à la nuit étoilée. « Pour la vallée. Pour ma famille. Pour nous tous. »
Puis elle se glissa sous ses couvertures, serrant le bracelet contre son cœur. Alors qu’elle sombrait dans le sommeil, une vision lui apparut – non pas un rêve ordinaire, mais quelque chose de plus profond, envoyé par le Fragment lui-même.
Elle se voyait debout sur la place centrale, face à la Reine Divisionnaire. Mais au lieu d’être seule et effrayée, elle était entourée d’un réseau lumineux de fils violets qui la reliaient à toutes les personnes qu’elle aimait – ses parents, Suzie, Romain, Elian, et d’autres encore, formant un motif complexe et magnifique, comme une toile d’araignée faite de lumière pure.
Et au centre de cette toile, brillant d’un éclat intense, se trouvait le Cristal d’Harmonia reconstitué – non pas divisé en trois fragments, mais entier, parfait, rayonnant de puissance et de paix.
C’était la vision d’un avenir possible, comprit Cylia. Un avenir qu’elle devait se battre pour créer.
Avec cette image d’espoir ancrée dans son esprit, elle s’endormit profondément, rassemblant ses forces pour l’épreuve qui l’attendait à l’aube.
— ⭐ —
L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 81