Les semaines qui suivirent la restauration du Cristal d’Harmonia furent comme un long soupir de soulagement pour toute la vallée. Les bannières de division furent remplacées par de nouveaux étendards aux nuances infinies de bleu, symbolisant l’harmonie retrouvée. Les lignes tracées au sol pour séparer Est et Ouest furent effacées, et les frontières qui commençaient à se dessiner s’estompèrent comme de mauvais souvenirs.
Pour Cylia, ces jours furent à la fois extraordinaires et étrangement ordinaires. D’un côté, elle était devenue une sorte de célébrité locale – la jeune Gardienne des Liens qui avait défié la Reine Divisionnaire et reconstitué le Cristal. Les gens la saluaient respectueusement dans la rue, certains lui demandaient même de toucher son bracelet désormais ordinaire, comme s’il possédait encore des pouvoirs magiques.
De l’autre côté, elle restait une fille de neuf ans, avec des devoirs à faire, des amis avec qui jouer, et une famille en pleine reconstruction.
Ce matin-là, trois semaines après la grande cérémonie, Cylia s’éveilla au son de rires provenant de la cuisine. Intriguée, elle se leva et descendit l’escalier sur la pointe des pieds.
La scène qui l’accueillit lui réchauffa le cœur : son père et sa mère, côte à côte devant la cuisinière, préparant ensemble des crêpes pendant que Suzie, assise à table, dessinait avec application. Ce n’était pas la première fois qu’ils se retrouvaient tous les quatre pour le petit-déjeuner depuis les événements – Yvan passait de plus en plus de temps à la maison – mais c’était la première fois que Cylia les voyait rire ainsi, avec une légèreté qui lui rappelait le temps d’avant.
« Oh, bonjour ma puce, » dit Diana en l’apercevant. « On ne voulait pas te réveiller. »
« Les crêpes sont presque prêtes, » ajouta Yvan avec un sourire chaleureux. « Tu arrives juste à temps. »
Cylia s’avança dans la cuisine, observant attentivement ses parents. Quelque chose avait changé entre eux – non pas de façon spectaculaire, mais subtilement, comme une plante qui recommence lentement à fleurir après un long hiver.
« Papa dort à la maison maintenant ? » demanda-t-elle directement, toujours cette habitude de poser les questions qui lui brûlaient les lèvres.
Ses parents échangèrent un regard, un de ces regards complices qu’elle n’avait pas vus depuis longtemps.
« Nous avons décidé d’essayer à nouveau, » expliqua doucement Diana. « Ton père et moi, nous… parlons beaucoup ces derniers temps. »
« Et nous avons réalisé certaines choses, » continua Yvan. « À propos de nous, de ce qui est vraiment important. »
« Comme nous ! » intervint Suzie avec l’innocence des enfants de quatre ans, levant fièrement son dessin qui représentait, encore une fois, leur famille unie.
« Oui, comme vous, » confirma Diana avec un sourire tendre. « Vous êtes ce qui compte le plus pour nous. »
« Mais ce n’est pas seulement pour vous que nous faisons ça, » précisa Yvan, s’adressant directement à Cylia avec une honnêteté qu’elle apprécia. « C’est aussi pour nous. Nous avons réalisé que nous avions encore… des sentiments l’un pour l’autre. Des sentiments que nous avions un peu oubliés sous le poids des problèmes quotidiens. »
Cylia hocha la tête, comprenant parfaitement ce qu’il voulait dire. Elle avait vu ces sentiments elle-même, grâce au Fragment de l’Union – cette petite flamme qui refusait de s’éteindre malgré les tempêtes.
« Est-ce que ça veut dire que tu ne vas plus habiter dans l’autre appartement ? » demanda-t-elle, voulant être sûre de bien comprendre.
« Pas pour l’instant, » répondit son père. « Mais je vais passer beaucoup plus de temps ici. Et nous allons voir comment les choses évoluent, jour après jour. »
« Nous ne voulons pas vous faire de fausses promesses, » ajouta Diana avec prudence. « Nous avons encore des choses à résoudre. Mais nous sommes déterminés à essayer. Vraiment essayer. »
Cylia sentit une joie immense l’envahir, mais elle la contint, ne voulant pas sembler trop enthousiaste et mettre une pression supplémentaire sur ses parents. Elle se contenta de hocher la tête et de s’asseoir à table, acceptant avec gratitude l’assiette de crêpes que son père lui tendait.
« J’ai une autre nouvelle, » annonça Yvan en s’asseyant à son tour. « La Reine Harmonia m’a proposé un nouveau poste au palais. »
« Vraiment ? » s’exclama Diana, visiblement surprise. « Tu ne m’en avais pas parlé. »
« Je voulais vous l’annoncer à tous en même temps, » expliqua-t-il. « Je vais travailler avec Séraphine – l’ancienne Reine Divisionnaire – sur un projet de réconciliation pour les familles qui ont été séparées pendant la brève période du Grand Partage. »
« Mais personne n’a vraiment été séparé, » remarqua Cylia. « Le Grand Partage n’a pas eu le temps de se concrétiser. »
« Physiquement, non, » concéda son père. « Mais émotionnellement, beaucoup de familles ont commencé à se diviser, à prendre des décisions difficiles. Certaines plaies ont besoin d’être guéries. »
Cylia médita ces paroles, comprenant qu’elles s’appliquaient aussi à leur propre famille. Les blessures infligées par la période de la division n’avaient pas magiquement disparu avec la reconstitution du Cristal.
« Et toi, Cylia, » dit Diana, changeant délibérément de sujet, « tu as rendez-vous avec la Reine cet après-midi, n’est-ce pas ? »
Cylia acquiesça, soudain un peu nerveuse à cette perspective. Depuis la grande cérémonie, elle n’avait revu la Reine Harmonia qu’une seule fois, brièvement, lors d’une célébration publique. Cette convocation privée l’intriguait et l’intimidait à la fois.
« Elian sera là aussi, » dit-elle, se rappelant le message qu’elle avait reçu. « Et d’autres personnes, apparemment. »
« Tu veux que je t’accompagne ? » proposa son père. « Je dois de toute façon me rendre au palais aujourd’hui. »
Cylia accepta avec gratitude. Malgré tout ce qu’elle avait vécu, malgré son nouveau statut de « héroïne », elle restait une enfant qui appréciait la présence rassurante d’un parent.
Le reste de la matinée passa rapidement. Cylia aida Suzie à s’habiller, puis elle sortit dans le jardin pour profiter du soleil printanier. Assise sous le vieux pommier, elle observa pensivement son bracelet d’argent. Bien que le Fragment de l’Union ne s’y trouvait plus, elle avait parfois l’impression de sentir encore sa présence, comme un écho lointain.
Elian lui avait expliqué que le bracelet, forgé par les anciens Gardiens, conservait une forme de mémoire, une empreinte du Fragment qu’il avait porté. Il ne possédait plus de pouvoirs magiques, mais il resterait toujours spécial, un rappel de ce qu’elle avait accompli.
Un sifflement familier interrompit ses réflexions. Levant les yeux, elle aperçut Romain qui s’approchait à grandes enjambées, sa tignasse rousse brillant comme une flamme sous le soleil.
« Hé, Gardienne ! » lança-t-il joyeusement, utilisant le surnom qu’il lui avait donné depuis les événements.
« Arrête de m’appeler comme ça, » protesta Cylia sans réelle conviction, habituée à cette taquinerie.
Romain s’assit à côté d’elle, son sourire légèrement atténué par un air sérieux inhabituel.
« Tout va bien ? » demanda-t-elle, remarquant immédiatement ce changement.
« Oui, c’est juste… » Il hésita, cherchant ses mots. « Mon père m’a dit que je suis aussi invité au palais cet après-midi. Pour la même réunion que toi, je pense. »
Cylia se redressa, surprise et ravie. « Vraiment ? C’est génial ! On ira ensemble alors. Mon père nous accompagne. »
« Tu sais pourquoi la Reine veut nous voir ? » demanda Romain, visiblement nerveux à cette perspective.
« Pas vraiment, » admit Cylia. « Le message disait juste que c’était important, et que ça concernait l’avenir de la vallée. »
Romain hocha la tête, pensif. « Mon père dit que depuis la reconstitution du Cristal, la Reine cherche à mettre en place de nouvelles protections pour éviter qu’une telle division ne se reproduise jamais. »
« Ça fait sens, » approuva Cylia. « Même si Séraphine est guérie de sa malédiction, qui sait ce qui pourrait arriver à l’avenir ? »
Ils discutèrent encore un moment des changements survenus dans la vallée depuis les événements, puis Romain dut partir pour aider son père avec quelques tâches avant leur rendez-vous au palais.
L’après-midi arriva rapidement. Cylia choisit de porter une simple robe bleue – d’un bleu équilibré, ni trop clair ni trop foncé – et attacha soigneusement son bracelet d’argent à son poignet. Ce n’était plus un artefact magique, mais il restait un symbole important.
Lorsqu’elle descendit, elle trouva son père qui l’attendait dans l’entrée, vêtu d’une tenue semi-formelle qui lui donnait un air distingué.
« Prête pour ton audience royale ? » demanda-t-il avec un clin d’œil.
« Aussi prête que possible, » répondit Cylia avec un sourire nerveux.
Ils passèrent chercher Romain chez lui, puis se dirigèrent vers le centre de la vallée, où s’élevait le majestueux palais d’Harmonia. L’édifice avait changé depuis la fin du règne de la Reine Divisionnaire – les bannières séparées avaient été remplacées par de nouveaux étendards représentant le Cristal reconstitué, et les gardes ne portaient plus d’uniformes divisés mais des tenues d’un bleu harmonieux.
À l’entrée du palais, ils furent accueillis par un homme en livrée élégante qui les guida à travers des couloirs de marbre jusqu’à une salle circulaire située au cœur même de l’édifice. Cylia reconnut immédiatement cet endroit d’après les descriptions qu’elle avait entendues – la Salle du Cristal, où le Cristal d’Harmonia avait trôné pendant des siècles avant d’être divisé.
Et effectivement, au centre de la pièce, sur un piédestal de cristal pur, reposait le Cristal reconstitué, rayonnant d’une lumière douce qui baignait toute la salle d’une aura apaisante.
Autour du piédestal se tenaient plusieurs personnes que Cylia reconnut immédiatement : la Reine Harmonia, majestueuse dans une robe aux nuances infinies de bleu ; Séraphine à ses côtés, son visage désormais harmonieux bien que marqué par les épreuves ; Elian, l’ancien Gardien, dont la blessure à la tempe avait guéri, ne laissant qu’une fine cicatrice ; et, à la surprise de Cylia, son enseignante Mme Bérénice.
« Bienvenue, jeunes héros, » les accueillit la Reine Harmonia avec un sourire chaleureux. « Et merci, Monsieur Vernois, d’avoir accompagné ces courageux enfants. »
Yvan s’inclina respectueusement. « C’est un honneur, Votre Majesté. »
« Veuillez nous excuser un moment, » continua la Reine en s’adressant à lui. « J’aimerais m’entretenir avec les enfants en présence des autres Gardiens. Séraphine vous montrera les projets de réconciliation sur lesquels vous travaillerez ensemble. »
Cylia jeta un regard inquiet à son père, mais celui-ci la rassura d’un sourire avant de suivre Séraphine vers une porte latérale. Une fois qu’ils furent sortis, la Reine invita Cylia et Romain à s’approcher du Cristal.
« Cylia, Romain, » commença-t-elle d’une voix à la fois douce et solennelle, « ce que vous avez accompli il y a trois semaines restera dans les annales de notre vallée comme l’un des actes les plus courageux de notre histoire. »
Les deux enfants échangèrent un regard embarrassé, peu habitués à de tels éloges.
« Mais ce n’est pas seulement pour vous remercier que je vous ai convoqués aujourd’hui, » poursuivit la Reine. « C’est aussi pour vous proposer quelque chose d’important. »
Elle fit un signe à Elian, qui s’avança, portant un coffret de bois sculpté que Cylia reconnut – c’était celui-là même qui avait contenu le bracelet qu’elle portait maintenant.
« Comme vous le savez peut-être, » expliqua Elian, « le Cristal d’Harmonia était traditionnellement protégé par trois Gardiens – un pour chaque aspect du Cristal. J’étais l’un d’eux, le Gardien de la Clarté. »
« Et j’étais la Gardienne de l’Obscurité, » ajouta Mme Bérénice, surprenant Cylia qui n’avait jamais soupçonné que son enseignante puisse avoir un tel rôle.
« Quand Séraphine a tenté de s’emparer du Cristal entier, » continua Elian, « elle nous a privés de nos fragments et a provoqué la division du Cristal. Sans Gardiens pour le protéger, le Cristal est vulnérable – même reconstitué. »
« C’est pourquoi, » intervint la Reine Harmonia, « nous devons désigner de nouveaux Gardiens. Et nous avons pensé à vous deux. »
Cylia et Romain écarquillèrent les yeux de surprise.
« Mais… nous ne sommes que des enfants, » balbutia Romain, exprimant tout haut ce que Cylia pensait tout bas.
« L’âge n’a pas d’importance pour le Cristal, » expliqua doucement Harmonia. « C’est le cœur qui compte, et la capacité à comprendre l’équilibre délicat entre les différentes forces qui composent notre monde. »
« Cylia, » dit Elian en se tournant vers elle, « tu as déjà prouvé que tu étais digne d’être la Gardienne de l’Union. Le Fragment t’a choisie, et tu as honoré ce choix par ton courage et ta sagesse. »
« Et toi, Romain, » ajouta Mme Bérénice, « tu as montré une loyauté et une bravoure exceptionnelles. Sans ton intervention, Cylia n’aurait jamais pu atteindre l’estrade et affronter la Reine Divisionnaire. »
« Nous pensons que tu serais un excellent Gardien de la Clarté, » conclut Elian. « Ta nature optimiste et ton esprit vif correspondent parfaitement à cet aspect du Cristal. »
Romain rougit jusqu’aux oreilles, visiblement ému par cette proposition inattendue.
« Mais qui sera le Gardien de l’Obscurité ? » demanda Cylia, remarquant qu’un rôle restait non attribué.
« Ah, » sourit la Reine, « c’est une excellente question. Nous avons pensé à Séraphine elle-même. »
Voyant l’expression surprise de Cylia, elle expliqua : « L’Obscurité n’est pas maléfique en soi, Cylia. Elle représente la profondeur, l’introspection, la sagesse qui vient des épreuves. Séraphine a traversé l’obscurité et en est revenue, transformée. Qui mieux qu’elle pourrait comprendre cet aspect du Cristal et le protéger contre ses dangers ? »
Cylia médita ces paroles, comprenant leur sagesse. Il était juste que Séraphine, qui avait tant souffert de la division, participe maintenant à la protection de l’unité retrouvée.
« Bien sûr, » poursuivit Harmonia, « nous comprenons que c’est une grande responsabilité. Vous êtes jeunes, vous avez votre vie d’enfants à vivre. C’est pourquoi nous ne vous demandons pas de consacrer tout votre temps à ce rôle. »
« En fait, » précisa Elian, « être Gardien signifie surtout comprendre et incarner l’aspect du Cristal qui vous est confié, et être prêt à le protéger si le besoin s’en fait sentir. Au quotidien, vous continuerez votre vie normale – école, famille, amis. »
« Comme moi, » ajouta Mme Bérénice avec un clin d’œil. « J’ai été Gardienne pendant des années tout en enseignant. »
Cylia et Romain échangèrent un long regard, communiquant silencieusement leur excitation et leurs doutes. Finalement, Cylia se tourna vers la Reine.
« Est-ce que nous pouvons réfléchir à votre proposition ? » demanda-t-elle poliment. « C’est un grand honneur, mais aussi une grande décision. »
« Bien sûr, » approuva Harmonia avec un sourire compréhensif. « Prenez le temps d’en parler avec vos parents. Revenez me voir quand vous aurez décidé. »
Elian ouvrit le coffret qu’il tenait, révélant deux nouveaux bracelets d’argent, similaires à celui que portait Cylia mais dépourvus de fragment.
« Si vous acceptez, » expliqua-t-il, « le Cristal lui-même séparera une infime partie de sa substance pour créer de nouveaux fragments qui s’adapteront à ces réceptacles. Ils ne seront pas aussi puissants que les fragments originaux – le Cristal restera essentiellement uni – mais ils vous permettront de communiquer entre vous et avec le Cristal principal en cas de besoin. »
Cylia regarda son propre bracelet, puis les deux nouveaux. L’idée que Romain et elle puissent partager cette connexion spéciale avec le Cristal était à la fois intimidante et merveilleuse.
« Nous vous remercions pour cette confiance, » dit-elle finalement, parlant aussi au nom de Romain qui acquiesçait vigoureusement. « Nous vous donnerons notre réponse bientôt. »
La réunion se termina peu après. La Reine les remercia encore une fois pour leur courage, puis Elian les raccompagna jusqu’à la sortie de la salle, où Yvan les attendait, discutant avec animation avec Séraphine de leurs projets communs.
Sur le chemin du retour, Cylia et Romain marchaient légèrement en retrait, parlant à voix basse de la proposition extraordinaire qu’ils venaient de recevoir.
« Tu crois qu’on devrait accepter ? » demanda Romain, ses yeux brillant d’excitation contenue.
« Je pense que oui, » répondit Cylia après un moment de réflexion. « Pas seulement parce que c’est un honneur, mais parce que… c’est important. Le Cristal a besoin d’être protégé. »
« Et puis, » ajouta Romain avec un sourire espiègle, « ça veut dire qu’on pourra communiquer par pensée ou quelque chose comme ça, non ? Ce serait pratique pendant les contrôles de math ! »
Cylia lui donna un léger coup de coude, feignant l’indignation. « Ce n’est pas pour tricher que ces bracelets sont faits ! »
Ils éclatèrent de rire, relâchant la tension accumulée pendant cette journée intense. Yvan se retourna, un sourire interrogateur aux lèvres.
« Vous semblez bien joyeux tous les deux. Est-ce que je peux savoir ce que la Reine vous a proposé ? »
Cylia et Romain échangèrent un regard complice avant de tout lui raconter. Yvan écouta attentivement, son expression passant de la surprise à la fierté, puis à une légère inquiétude.
« C’est une grande responsabilité, » dit-il finalement. « Mais si quelqu’un peut la porter, c’est bien vous deux. Vous avez déjà prouvé votre valeur. »
« Tu crois que maman sera d’accord ? » demanda Cylia, soudain préoccupée par cette question.
« Je pense qu’elle sera surtout très fière, » répondit son père avec un sourire rassurant. « Mais il faudra lui expliquer que ce rôle ne t’empêchera pas d’avoir une enfance normale. »
« C’est exactement ce qu’Elian et la Reine ont dit, » confirma Cylia. « On sera des Gardiens, mais d’abord des enfants. »
Yvan hocha la tête, satisfait. « Alors je ne vois pas pourquoi elle s’y opposerait. »
Ils raccompagnèrent Romain chez lui, puis Cylia et son père rentrèrent à la maison, où Diana et Suzie les attendaient avec impatience, curieuses de savoir ce qui s’était passé au palais.
Comme l’avait prédit Yvan, Diana fut d’abord surprise, puis immensément fière en apprenant la proposition faite à sa fille. Elle posa beaucoup de questions, s’assurant que ce rôle n’interférerait pas avec l’éducation et le bien-être de Cylia, mais une fois rassurée sur ces points, elle donna son plein soutien.
« Ma fille, une Gardienne officielle, » murmura-t-elle en serrant Cylia dans ses bras. « Qui l’aurait cru ? »
« Moi ! » s’exclama Suzie, qui avait écouté toute l’histoire avec des yeux émerveillés. « J’ai toujours su que Cylia était magique ! »
Tout le monde rit à cette déclaration candide, et Cylia ébouriffa affectueusement les cheveux de sa petite sœur.
« Est-ce que je peux avoir un bracelet magique aussi quand je serai grande ? » demanda Suzie avec espoir.
« Qui sait ? » répondit Cylia mystérieusement. « Peut-être qu’un jour, ce sera ton tour de protéger la vallée. »
Cette nuit-là, allongée dans son lit, Cylia réfléchit à tout ce qui s’était passé depuis la première apparition de la Reine Divisionnaire. En quelques semaines, sa vie avait complètement changé – elle avait découvert un pouvoir en elle qu’elle ignorait, elle avait sauvé toute une vallée de la division, et maintenant, on lui proposait de devenir officiellement Gardienne de l’Union.
Mais plus important encore, elle avait appris quelque chose de crucial sur les liens qui unissaient les personnes. Ces liens n’étaient pas toujours visibles, pas toujours faciles à maintenir, mais ils étaient réels et précieux. Qu’il s’agisse de l’amitié indéfectible de Romain, de l’amour complexe mais durable entre ses parents, ou du lien spécial qu’elle partageait avec sa petite sœur Suzie – tous méritaient d’être protégés, nourris, célébrés.
En écoutant les bruits familiers de la maison – son père et sa mère discutant doucement dans le salon, Suzie marmonnant dans son sommeil dans la chambre voisine – Cylia se sentit enveloppée dans un cocon de connexions invisibles mais tangibles, un réseau de liens qui la définissaient autant qu’elle les définissait.
Elle porta son bracelet à son cœur et ferma les yeux, imaginant ce que l’avenir lui réservait en tant que Gardienne de l’Union. Ce ne serait pas toujours facile, elle le savait. Il y aurait d’autres défis, d’autres moments où l’harmonie serait menacée.
Mais elle était prête. Car elle avait compris la leçon la plus importante de toutes : même quand les choses semblent irrémédiablement divisées, il reste toujours un espoir de réunification. Les véritables liens ne peuvent jamais être complètement rompus. Ils peuvent s’étirer, s’affaiblir, se tendre jusqu’à la limite de la rupture, mais tant qu’il reste une étincelle d’amour, d’amitié ou de compréhension, il y a une chance de retrouver l’harmonie perdue.
C’était cette vérité qu’elle porterait désormais comme Gardienne de l’Union, cette sagesse qu’elle partagerait avec tous ceux qui douteraient du pouvoir des liens authentiques.
Le lendemain matin, Cylia et Romain retournèrent au palais pour donner leur réponse à la Reine. Comme ils l’avaient décidé ensemble, ils acceptèrent l’honneur et la responsabilité de devenir Gardiens.
La cérémonie fut simple mais émouvante. Dans la Salle du Cristal, en présence de leurs parents et des anciens Gardiens, Cylia, Romain et Séraphine s’avancèrent tour à tour vers le Cristal d’Harmonia reconstitué.
Sous le regard bienveillant de la Reine Harmonia, le Cristal brilla d’une lumière intense puis, délicatement, trois minuscules fragments s’en détachèrent – un violet pour Cylia, un bleu clair pour Romain, et un bleu foncé pour Séraphine. Chaque fragment flotta jusqu’au bracelet de son nouveau gardien, s’y insérant parfaitement.
Lorsque les trois fragments furent en place, ils émirent simultanément un doux rayonnement, créant un triangle de lumière qui semblait connecter les trois Gardiens entre eux et avec le Cristal principal.
« Les Gardiens sont restaurés, » déclara solennellement la Reine Harmonia. « Que leur vigilance et leur sagesse protègent notre vallée pour les générations à venir. »
La magie du moment était palpable, une sensation de justesse absolue, comme si l’univers entier approuvait cette nouvelle configuration.
Plus tard, alors que les nouveaux Gardiens et leurs familles quittaient le palais, Cylia remarqua un changement subtil dans l’atmosphère de la vallée. L’air semblait plus léger, les couleurs plus vives, les sourires des gens plus sincères. C’était comme si la reconstitution officielle du trio des Gardiens avait achevé de restaurer l’harmonie dans tous les aspects de la vie à Harmonia.
En marchant aux côtés de ses parents, sa petite sœur gambadant joyeusement devant eux et son meilleur ami à ses côtés, Cylia sentit une plénitude qu’elle n’avait pas éprouvée depuis longtemps. Son bracelet émettait une douce chaleur contre son poignet, non pas comme un avertissement cette fois, mais comme une présence amicale et rassurante.
« À quoi penses-tu ? » demanda Romain, remarquant son expression pensive.
Cylia sourit, regardant tour à tour sa famille, son ami, et au loin, la vallée paisible qui s’étendait sous le soleil printanier.
« Je pense que les liens sont vraiment la chose la plus importante qui soit, » répondit-elle simplement. « Et que tant qu’on se souvient de les chérir, rien ne peut vraiment nous diviser. »
Romain hocha la tête, comprenant parfaitement. Son propre bracelet scintilla légèrement, comme en écho au sentiment de Cylia.
« Ensemble, » dit-il en tendant sa main.
« Ensemble, » confirma Cylia en la serrant.
Leurs parents échangèrent un regard amusé et attendri devant cette solennité enfantine, ne comprenant pas tout à fait la profondeur de ce qui se jouait entre les deux amis. Mais c’était ainsi que cela devait être – les Gardiens et leurs secrets, veillant discrètement sur la vallée tout en vivant leurs vies ordinaires.
Dans les mois qui suivirent, la vie reprit son cours normal à Harmonia. L’école abandonna définitivement toute séparation entre Est et Ouest, revenant à son organisation traditionnelle. Les familles qui avaient commencé à déménager retrouvèrent leurs anciennes demeures ou en choisirent de nouvelles, mais cette fois par choix personnel et non par obligation divisionnaire.
Les parents de Cylia continuèrent leur lent processus de réconciliation. Certains jours étaient plus faciles que d’autres, certaines conversations plus douloureuses que prévu, mais ils persévéraient, guidés par cette flamme d’amour que la division n’avait pas réussi à éteindre. Yvan finit par ramener ses affaires à la maison, rendant l’appartement qu’il avait brièvement loué.
Un soir d’été, alors que toute la famille était réunie dans le jardin pour un barbecue, rejoints par Romain et ses parents, Cylia observait les interactions avec un regard nouveau – celui d’une Gardienne des Liens. Elle voyait maintenant sans l’aide du Fragment les connexions invisibles qui liaient toutes ces personnes – les amitiés, les affinités, les amours, les loyautés silencieuses.
Son père s’approcha d’elle, lui tendant un verre de limonade fraîche.
« Tout va bien, ma puce ? Tu as l’air bien songeuse. »
Cylia acquiesça, un sourire serein aux lèvres. « Je suis juste… heureuse. »
Yvan suivit son regard, contemplant la scène joyeuse qui se déroulait devant eux – Diana et la mère de Romain riant ensemble pendant que Suzie et le petit frère de Romain jouaient à se poursuivre, Romain aidant son père à surveiller les grillades.
« C’est une belle soirée, » commenta Yvan. « Une belle vie, en fait. »
« Même si ce n’est pas toujours parfait ? » demanda Cylia, pensant aux difficultés que ses parents traversaient encore parfois.
« Surtout parce que ce n’est pas parfait, » répondit son père avec sagesse. « C’est dans l’imperfection qu’on trouve la vraie beauté. Dans les efforts qu’on fait pour se comprendre, se pardonner, s’aimer malgré tout. »
Il jeta un regard affectueux vers Diana, qui le remarqua et lui sourit en retour – un de ces sourires complices qui disaient plus que mille mots.
« Tu sais, » continua Yvan en se tournant à nouveau vers sa fille, « je ne sais pas exactement ce qui s’est passé ce jour-là sur l’estrade. Ce que tu as fait, ce que tu as vu. Mais je sais une chose : tu nous as tous sauvés, d’une façon ou d’une autre. Pas seulement de la division de la vallée, mais aussi de nos propres divisions intérieures. »
Cylia sentit ses yeux s’embuer de larmes émues. « Je voulais juste… que nous restions une famille. »
« Et c’est ce que nous sommes, » affirma son père en passant un bras autour de ses épaules. « Une famille différente de ce qu’elle était avant, peut-être. Plus forte à certains égards, parce que nous avons failli nous perdre et que nous avons choisi de nous retrouver. »
Ces paroles résonnèrent profondément en Cylia, confirmant ce qu’elle avait appris au cours de son aventure extraordinaire : les véritables liens ne se brisent jamais complètement. Ils évoluent, se transforment, parfois s’affaiblissent temporairement, mais tant qu’il reste une volonté de connexion, il y a toujours un chemin vers l’harmonie retrouvée.
Son bracelet émit un doux scintillement, comme pour approuver cette pensée. Au même moment, elle vit celui de Romain briller en écho, et son ami lui adressa un clin d’œil complice par-dessus le barbecue fumant.
Les deux jeunes Gardiens partageaient maintenant un secret et une mission – veiller sur les liens qui unissaient leur communauté, rappeler à tous, par leur simple exemple, que l’harmonie n’était pas un état figé à préserver, mais un équilibre dynamique à recréer chaque jour.
Et si parfois des nuages de division menaçaient à nouveau de s’installer au-dessus de la vallée, si des incompréhensions ou des désaccords surgissaient, Cylia savait qu’elle serait là, avec Romain et Séraphine, pour rappeler à tous la leçon fondamentale qu’ils avaient apprise : ensemble, nous sommes plus forts que séparés. Ensemble, nous sommes Harmonia.
Alors que le soleil se couchait sur cette journée parfaite, baignant la vallée de teintes orangées et violettes, Cylia leva son verre dans un toast silencieux à tous ces liens précieux qui tissaient la tapisserie de sa vie. Le Cristal au palais répondit par un éclat fugitif, visible uniquement pour ceux qui savaient regarder avec le cœur.
L’harmonie était restaurée. Les liens, renforcés. Et l’avenir s’annonçait aussi lumineux que le cristal qui veillait désormais, intact et puissant, sur la vallée et ses habitants.
— ⭐ —
L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 81