Les trois jours suivants passèrent à une vitesse folle. Masséo s’exerçait chaque soir avant de s’endormir, concentrant toute son énergie pour faire apparaître la lueur bleutée au bout de ses doigts. Parfois, il réussissait à maintenir cette lumière pendant plusieurs secondes. D’autres fois, malgré tous ses efforts, seules quelques étincelles fugaces apparaissaient.
Ses parents avaient remarqué un changement dans son comportement. Il ne protestait plus quand venait l’heure du coucher et ne demandait plus à garder toutes les lumières allumées. Catherine et Philippe échangeaient des regards surpris mais soulagés, se demandant ce qui avait provoqué cette transformation soudaine.
Le troisième soir, après le dîner, Philippe s’approcha de Masséo qui regardait une course de Formule 1 à la télévision.
« Dis donc, champion, » commença-t-il en s’asseyant à côté de son fils sur le canapé, « ta mère et moi avons remarqué que tu sembles moins… anxieux ces derniers temps. »
Masséo détacha son regard de l’écran. Son père, dans son sweat à capuche blanc préféré, avait cette expression à la fois curieuse et bienveillante qui signifiait qu’il voulait avoir une conversation sérieuse.
« C’est vrai, » admit Masséo. « Je me sens plus courageux maintenant. »
« C’est arrivé d’un coup, » remarqua Philippe. « Il s’est passé quelque chose dont tu voudrais nous parler ? »
Masséo hésita. Il mourait d’envie de tout raconter à son père : Stellaria, L’Ombre Obscurosse, ses pouvoirs naissants. Mais il se rappela que selon sa mentor, les adultes ne pouvaient pas voir ces entités, et elle lui avait fait promettre de garder le secret.
« J’ai juste… trouvé un moyen de ne plus avoir aussi peur du noir, » répondit-il finalement.
Philippe sourit, visiblement fier. « C’est une excellente nouvelle. Tu sais, quand j’étais petit, j’avais peur des orages. »
« Toi ? » s’étonna Masséo. L’idée que son père, si grand et fort à ses yeux, puisse avoir eu des peurs lui semblait inconcevable.
« Eh oui ! Le bruit du tonnerre me terrifiait. Ma mère, ta grand-mère Lucie, m’avait appris une technique pour rester calme. »
Masséo se redressa, soudain très attentif. « Mamie Lucie ? Qu’est-ce qu’elle t’avait appris ? »
« Elle me disait de fermer les yeux et d’imaginer une lumière chaude et protectrice tout autour de moi, » expliqua Philippe. « Comme un bouclier impénétrable. Ça m’aidait à me sentir en sécurité. »
Masséo écarquilla les yeux. C’était presque exactement ce que Stellaria lui avait enseigné ! Était-ce possible que sa grand-mère ait vraiment été une Porteuse de Lumière, comme l’avait affirmé Stellaria ?
« Elle disait que la peur est comme l’obscurité, » continua Philippe, perdu dans ses souvenirs. « Elle semble immense et envahissante, mais même la plus petite lumière peut la repousser. »
Catherine, qui écoutait depuis la cuisine, s’approcha et posa une main sur l’épaule de son mari. « Ta grand-mère était une femme extraordinaire. Elle avait cette façon unique de réconforter les gens autour d’elle. »
Masséo acquiesça silencieusement, comprenant maintenant d’où venait son don. Il aurait aimé avoir connu sa grand-mère plus longtemps.
Cette nuit-là, alors que ses parents dormaient profondément, Masséo attendait avec impatience le retour de Stellaria. Il avait tant de questions à lui poser sur sa grand-mère et sur la façon dont elle avait utilisé ses pouvoirs.
Mais minuit passa, puis une heure du matin, et Stellaria n’apparaissait toujours pas. Masséo commençait à s’inquiéter. Avait-elle oublié ? Ou peut-être était-elle en danger ?
C’est alors qu’il ressentit cette sensation désormais familière : un frisson glacial parcourant son dos, l’air devenant soudain plus lourd, plus dense. L’Ombre Obscurosse arrivait.
« Non, pas maintenant, » murmura-t-il. « Pas sans Stellaria. »
Mais les ombres de sa chambre s’épaississaient déjà, se rassemblant dans un coin pour former la silhouette brumeuse qu’il redoutait. Les yeux violets de l’Ombre s’ouvrirent, fixant Masséo avec une intensité malveillante.
« Bonsoir, petit Porteur, » susurra l’entité. « Ta protectrice n’est pas là ce soir. Quel dommage… »
Masséo déglutit difficilement. Il devait rester calme, se rappeler les leçons de Stellaria. La peur nourrissait l’Ombre ; il ne devait pas céder à la panique.
« Je n’ai pas besoin de protection, » répondit-il en essayant de maîtriser le tremblement de sa voix. « J’ai ma propre lumière. »
L’Ombre Obscurosse émit un son à mi-chemin entre le rire et le sifflement. « Ta lumière ? Ce faible scintillement que tu peines à maintenir pendant quelques secondes ? Tu n’es qu’un débutant, Masséo. Tu n’as aucune chance contre moi. »
Elle s’approcha, glissant sur le sol comme un serpent d’encre. « Ce soir, je vais te montrer ce dont je suis vraiment capable. Ce n’est pas juste le noir que tu crains, n’est-ce pas ? C’est ce qu’il représente : l’inconnu, l’échec, l’impuissance. »
L’Ombre se dressa soudain, atteignant presque le plafond. Sa forme changea, devenant plus définie, plus menaçante. « Laisse-moi te montrer tes véritables peurs, Masséo. »
L’obscurité envahit complètement la chambre. Même la faible lumière du couloir semblait avoir été avalée. Masséo ne voyait plus rien, pas même ses propres mains devant lui.
Puis des images commencèrent à apparaître dans ce néant, comme projetées sur un écran invisible. Masséo se vit lui-même, plus âgé, assis seul dans une pièce sombre. Personne ne venait le chercher. Personne ne se souciait de lui.
« L’abandon, » murmura l’Ombre. « La solitude. Tu as peur d’être laissé seul dans le noir, oublié de tous. »
L’image changea. Masséo se vit maintenant tenant une batte de baseball, manquant chaque balle, sous les rires moqueurs de ses camarades.
« L’échec, » poursuivit l’Ombre. « La déception. Tu crains de ne jamais être assez bon, assez fort, assez courageux. »
Une dernière vision apparut : Masséo debout sur une ligne de départ, figé tandis que tous les autres coureurs s’élançaient.
« L’impuissance, » conclut l’Ombre. « Le sentiment d’être paralysé quand tous les autres avancent. Voilà ce que représente vraiment le noir pour toi, Masséo. Voilà pourquoi tu en as si peur. »
Les images se dissipèrent, laissant Masséo tremblant sur son lit. L’Ombre avait raison. Ce n’était pas juste l’obscurité qu’il craignait, mais tout ce qu’elle symbolisait pour lui.
« Ta lumière ne peut pas repousser ces peurs, » susurra l’Ombre en s’approchant encore. « Elles sont trop profondes, trop réelles. »
Masséo ferma les yeux, luttant contre les larmes qui menaçaient de couler. Il se sentait si petit, si vulnérable. Où était Stellaria ? Pourquoi l’avait-elle abandonné ?
C’est alors qu’il se souvint des paroles de son père, de ce que lui avait enseigné sa grand-mère Lucie : « La peur est comme l’obscurité. Elle semble immense et envahissante, mais même la plus petite lumière peut la repousser. »
Il pensa à sa grand-mère qu’il n’avait pas eu la chance de bien connaître, mais qui lui avait transmis ce don. Il pensa à son père qui avait surmonté sa peur des orages. Il pensa à sa mère qui affrontait chaque jour la maladie et la souffrance dans son travail à la maison de retraite.
Il n’était pas seul. Il n’était pas impuissant.
Masséo prit une profonde inspiration et se concentra, non pas sur l’obscurité qui l’entourait, mais sur la chaleur qu’il ressentait en pensant à sa famille, à ses amis, à tout ce qu’il aimait. Le baseball par une journée ensoleillée. Le vrombissement des moteurs de Formule 1. Le rire de sa mère. Les histoires de son père.
Une petite étincelle apparut au bout de ses doigts. Puis une autre. Et une autre encore.
« Impossible, » siffla l’Ombre en reculant légèrement.
Masséo ouvrit les yeux. Ses mains brillaient maintenant d’une lueur constante, plus forte qu’elle ne l’avait jamais été. Ce n’était pas juste un scintillement bleuté, mais une véritable lumière dorée qui émanait de ses paumes, repoussant les ténèbres.
« Ma lumière est peut-être petite, » dit-il avec une assurance nouvelle, « mais elle est à moi. Et elle grandit chaque jour. »
Il tendit les mains devant lui, dirigeant cette lueur vers l’Ombre Obscurosse. La créature siffla de douleur et de frustration, se contorsionnant pour éviter la lumière.
« Tu ne comprends pas, » grogna-t-elle. « Tu joues avec des forces que tu ne maîtrises pas. L’équilibre entre la lumière et l’obscurité est plus complexe que tu ne l’imagines. »
« Alors explique-moi, » défia Masséo, maintenant sa lumière. « Pourquoi me poursuis-tu ? Que veux-tu vraiment ? »
L’Ombre parut momentanément décontenancée par cette question directe. Ses yeux violets se plissèrent, scrutant Masséo avec ce qui ressemblait presque à de la curiosité.
« Tu es différent des autres Porteurs, » remarqua-t-elle. « Ils cherchent généralement à me bannir sans poser de questions. »
Avant que la conversation puisse se poursuivre, un scintillement argenté illumina la chambre. Stellaria apparut, l’air essoufflée et légèrement échevelée.
« Masséo ! » s’exclama-t-elle. « Je suis désolée d’être en retard. Il y avait une urgence dans un autre secteur et… »
Elle s’interrompit, remarquant la lumière dorée qui émanait des mains de Masséo et l’Ombre Obscurosse acculée dans un coin de la chambre.
« Par les étoiles, » murmura-t-elle, impressionnée. « Tu as réussi à la contenir tout seul ? »
L’Ombre profita de cette distraction pour se fondre rapidement dans les ombres, disparaissant comme si elle n’avait jamais été là. Seul un murmure resta flottant dans l’air : « Ce n’est que partie remise, petit Porteur… »
Masséo laissa retomber ses mains, soudain épuisé. La lumière s’estompa progressivement jusqu’à s’éteindre complètement.
« J’ai réussi, » dit-il avec un mélange de fierté et d’incrédulité. « J’ai vraiment réussi à la repousser. »
Stellaria s’approcha et s’assit à côté de lui, posant une main réconfortante sur son épaule. « Tu as fait bien plus que la repousser, Masséo. Tu as découvert ton véritable pouvoir. »
« Mais je suis si fatigué maintenant, » admit-il en réprimant un bâillement.
« C’est normal, » expliqua Stellaria. « Utiliser ta lumière intérieure demande beaucoup d’énergie, surtout au début. Avec la pratique, cela deviendra plus facile, plus naturel. »
Elle l’aida à se rallonger et remonta sa couverture. « Repose-toi maintenant. Tu as vécu une épreuve importante ce soir, et tu l’as surmontée avec courage. »
« L’Ombre… elle m’a montré mes peurs, » murmura Masséo, déjà à moitié endormi. « Pas juste le noir, mais ce qu’il représente. »
« Les Ombres sont très douées pour cela, » acquiesça Stellaria. « Elles savent exactement ce qui nous effraie le plus. »
« Mais j’ai quand même réussi à créer de la lumière, » poursuivit Masséo avec un faible sourire.
« C’est la leçon la plus importante, Masséo, » dit doucement Stellaria. « Ce n’est pas l’absence de peur qui fait de toi un Porteur de Lumière. C’est ta capacité à créer de la lumière malgré cette peur. »
Elle se pencha et déposa un baiser léger sur son front. « Dors maintenant. Demain, nous commencerons un nouveau chapitre de ton entraînement. »
Masséo voulut demander ce que serait ce nouveau chapitre, mais le sommeil le gagnait déjà. Ses paupières se fermèrent, et il s’endormit profondément, bercé par une sensation de chaleur et d’accomplissement.
Dans ses rêves, il conduisait une voiture de Formule 1 étincelante, laissant derrière lui une traînée de lumière dorée qui illuminait la piste la plus sombre du monde.
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 76