La nuit dans la tente s’était étonnamment bien passée. Malgré les révélations troublantes de L’Ombre Obscurosse, Masséo avait dormi paisiblement, bercé par la présence rassurante de ses parents et le doux scintillement de la Pierre de Lumière qu’il avait gardée dans sa main toute la nuit.
Le dimanche s’écoula lentement, chaque heure rapprochant Masséo du moment où il confronterait Stellaria. Il participa distraitement aux activités familiales – un barbecue pour le déjeuner, une partie de football improvisée dans le jardin – mais son esprit était ailleurs, tournant et retournant les paroles de l’Ombre.
« Le Grand Équilibre », « L’Éveil Complet »… Ces termes résonnaient dans sa tête comme une mélodie entêtante.
« Masséo, attention ! » s’écria Catherine alors que le ballon passait juste à côté de son fils sans qu’il ne fasse le moindre geste pour l’arrêter.
« Désolé, maman, » marmonna-t-il en courant chercher la balle.
Catherine s’approcha, essuyant son front avec le dos de sa main. Ses cheveux blonds étaient relevés en un chignon désordonné, et son t-shirt gris portait les traces de leur journée active en plein air.
« Tu sembles à des kilomètres d’ici, » remarqua-t-elle doucement. « Quelque chose te préoccupe ? »
Masséo hésita. Il aurait tant voulu partager ses inquiétudes avec sa mère, lui parler de Stellaria, de l’Ombre, des pouvoirs lumineux qu’il développait. Mais comment expliquer quelque chose qu’elle ne pouvait ni voir ni comprendre ?
« Je me pose juste des questions, » dit-il finalement.
« Quel genre de questions ? » demanda Catherine en s’asseyant sur l’herbe, l’invitant à faire de même.
Masséo s’installa à côté d’elle, cherchant ses mots. « Comment sait-on si quelqu’un nous dit la vérité ? Si on peut lui faire confiance ? »
Catherine parut surprise par la profondeur de cette question venant d’un enfant de huit ans. « C’est une excellente question, mon chéri. Et pas toujours facile à répondre, même pour les adultes. »
Elle réfléchit un instant, jouant distraitement avec un brin d’herbe. « Je dirais qu’il faut regarder les actions de cette personne, pas seulement écouter ses paroles. Est-ce que ce qu’elle fait correspond à ce qu’elle dit ? Est-ce qu’elle agit pour ton bien ou pour le sien ? »
Masséo acquiesça lentement. « Et si deux personnes disent des choses différentes ? Comment savoir qui a raison ? »
« Alors tu dois écouter ton instinct, ton cœur, » répondit Catherine en posant doucement sa main sur la poitrine de son fils. « Tu as une boussole intérieure, Masséo. Elle ne te trompera pas si tu l’écoutes attentivement. »
Ces paroles résonnèrent profondément en lui. Sa boussole intérieure… N’était-ce pas, d’une certaine façon, comme sa lumière intérieure ?
Le soir venu, après avoir démonté la tente et rangé le matériel de camping, Masséo monta dans sa chambre avec une détermination nouvelle. Il attendit patiemment que ses parents lui souhaitent bonne nuit, puis s’assit en tailleur sur son lit, la Pierre de Lumière posée devant lui.
Comme prévu, Stellaria apparut à l’heure habituelle, son aura argentée illuminant doucement la chambre.
« Bonsoir, jeune Porteur, » dit-elle avec son sourire chaleureux. « J’ai senti que tu as pratiqué pendant le week-end. Ta connexion avec la Pierre de Lumière s’est renforcée. »
Masséo ne répondit pas immédiatement, observant attentivement sa mentor. Ses cheveux argentés, son visage bienveillant, sa combinaison parsemée d’étoiles… Tout chez elle inspirait confiance et sagesse. Pourtant, les doutes semés par l’Ombre persistaient.
« Stellaria, » commença-t-il d’une voix plus ferme qu’à l’ordinaire, « qu’est-ce que le Grand Équilibre ? »
La gardienne se figea imperceptiblement, son sourire vacillant l’espace d’un instant. « Où as-tu entendu ce terme ? »
« Réponds d’abord à ma question, » insista Masséo, surpris par sa propre audace.
Stellaria s’approcha lentement et s’assit sur le bord du lit. « Le Grand Équilibre est un concept ancien qui décrit la relation entre la lumière et l’obscurité dans notre univers. Comme le jour et la nuit, comme l’inspiration et l’expiration, les deux forces sont nécessaires et complémentaires. »
Masséo fronça les sourcils. « Alors pourquoi m’apprends-tu à combattre l’obscurité ? Si elle est nécessaire, comme tu dis ? »
« Je ne t’apprends pas à combattre l’obscurité elle-même, » corrigea Stellaria, « mais à te défendre contre ceux qui l’utilisent pour nuire. Il y a une différence cruciale entre l’obscurité naturelle et bénéfique, et celle qui est manipulée pour semer la peur. »
Masséo réfléchit à cette réponse. Elle semblait logique, mais il y avait autre chose qu’il devait savoir.
« Et qu’est-ce que l’Éveil Complet ? »
Cette fois, la réaction de Stellaria fut plus visible. Ses yeux changeants s’écarquillèrent légèrement, et elle se redressa.
« Tu as parlé avec l’Ombre Obscurosse, » constata-t-elle, son ton devenant plus grave. « Elle est venue te voir pendant ton camping. »
« Elle m’a dit des choses… sur toi, » admit Masséo. « Elle a dit que tu utilisais des enfants comme moi pour un rituel dangereux appelé l’Éveil Complet, qui nous vide de notre énergie vitale. »
Stellaria soupira profondément, passant une main dans ses cheveux argentés. « Les Ombres excellent dans l’art de mélanger vérités et mensonges, Masséo. C’est ce qui rend leurs manipulations si efficaces. »
Elle se leva et commença à faire les cent pas dans la chambre. « L’Éveil Complet existe, oui. C’est le moment où un Porteur de Lumière atteint la pleine maîtrise de ses pouvoirs. Mais ce n’est pas un rituel que j’impose ; c’est une étape naturelle dans le développement de tes capacités. »
« Et l’énergie vitale ? » insista Masséo. « Est-ce que ça peut me faire du mal ? »
« Utiliser tes pouvoirs demande de l’énergie, comme tu l’as déjà constaté, » expliqua Stellaria. « Plus le pouvoir est grand, plus l’énergie nécessaire est importante. C’est pourquoi je t’entraîne progressivement, pour que ton corps s’adapte. »
Elle s’arrêta et le regarda droit dans les yeux. « Je ne t’ai jamais menti, Masséo. Mais je ne t’ai peut-être pas tout dit, car certaines connaissances ne sont utiles qu’au bon moment. »
Masséo sentait qu’elle était sincère, mais il restait troublé. « L’Ombre a aussi parlé d’une guerre entre les Porteurs de Lumière et les créatures d’ombre. Elle a dit que vous vouliez éradiquer toute obscurité, ce qui créerait un déséquilibre dangereux. »
Stellaria ferma brièvement les yeux, comme si elle rassemblait ses pensées. « Il y a eu un conflit, c’est vrai. Mais ce n’était pas pour éradiquer l’obscurité, Masséo. C’était pour empêcher certaines Ombres, menées par Obscurosse, de perturber l’équilibre en répandant la peur et le désespoir. »
Elle s’approcha et s’agenouilla devant lui, prenant ses mains dans les siennes. « L’obscurité n’est pas mauvaise en soi. La nuit est nécessaire pour le repos, pour voir les étoiles, pour permettre à certaines créatures de vivre selon leur nature. Ce qui est dangereux, c’est lorsque l’obscurité cherche à effacer toute lumière, ou lorsque la lumière veut éliminer toute ombre. »
Masséo sentit une chaleur réconfortante émaner des mains de Stellaria. « Alors, que veux-tu vraiment que je fasse avec mes pouvoirs ? »
« Je veux que tu apprennes à être gardien de l’équilibre, comme moi, » répondit-elle doucement. « Que tu utilises ta lumière non pas pour détruire l’obscurité, mais pour éclairer ceux qui sont perdus dans les ténèbres. Pour offrir un choix, une alternative à la peur. »
Elle lâcha ses mains et se releva. « Mais je comprends tes doutes, Masséo. Et je respecte ton besoin de vérité. C’est pourquoi je te propose quelque chose : je vais te montrer mon monde, le royaume des Porteurs de Lumière. Tu pourras voir par toi-même ce que nous faisons, qui nous sommes réellement, et décider si tu veux continuer ton apprentissage. »
Masséo écarquilla les yeux. « Ton monde ? Tu veux dire… quitter ma maison ? »
« Juste pour quelques heures, » le rassura Stellaria. « Le temps suspend son cours différemment entre nos royaumes. Ce qui semblera plusieurs heures là-bas ne durera qu’un bref instant ici. Tu seras de retour dans ton lit avant l’aube. »
Masséo hésita. C’était à la fois excitant et effrayant. Quitter sa chambre, sa maison, pour un royaume inconnu… Mais n’était-ce pas le meilleur moyen de découvrir la vérité ?
« D’accord, » décida-t-il finalement. « Je veux voir ton monde. »
Stellaria sourit, visiblement soulagée. « Sage décision, jeune Porteur. Prends ta Pierre de Lumière et donne-moi la main. Le voyage peut être désorientant la première fois. »
Masséo saisit la pierre qui brillait doucement et prit la main tendue de Stellaria. Immédiatement, une sensation étrange l’envahit, comme si son corps devenait plus léger, presque translucide.
« Ferme les yeux et respire profondément, » conseilla Stellaria. « Laisse-toi porter par la lumière. »
Masséo obéit, sentant une chaleur envelopper tout son être. Lorsqu’il rouvrit les yeux, sa chambre avait disparu.
Il se tenait à présent dans un lieu d’une beauté à couper le souffle. Le ciel au-dessus d’eux n’était pas bleu ou noir, mais un dégradé d’or et d’argent, traversé par des rivières de lumière dansante. Autour d’eux s’étendait une cité aux bâtiments cristallins qui semblaient capturer et refléter cette lumière céleste. Des jardins suspendus reliaient les tours scintillantes, où des fleurs lumineuses s’épanouissaient en constellations colorées.
« Bienvenue à Luminaria, la cité des Porteurs de Lumière, » annonça Stellaria avec une fierté évidente dans la voix.
Masséo tournait sur lui-même, émerveillé par tant de splendeur. Des personnes de tous âges circulaient dans les rues pavées de pierres opalines, certaines créant de petites lumières qui les suivaient comme des lucioles apprivoisées, d’autres manipulant des sphères d’énergie pour diverses tâches.
« Tous ces gens sont des Porteurs de Lumière ? » demanda-t-il, stupéfait.
« La plupart, oui, » confirma Stellaria. « D’autres sont des Gardiens de l’Équilibre comme moi, ou des êtres lumineux nés dans ce royaume. »
Elle le guida à travers la cité, lui montrant les différents quartiers. Il y avait des écoles où de jeunes Porteurs apprenaient à maîtriser leurs dons, des bibliothèques où des savants étudiaient l’histoire de la lumière et de l’obscurité, des ateliers où des artisans façonnaient des objets comme sa Pierre de Lumière.
« C’est incroyable, » murmura Masséo. « Je n’imaginais pas qu’un tel endroit puisse exister. »
« Il existe parce que nous maintenons l’équilibre, » expliqua Stellaria. « Sans obscurité, notre lumière serait aveuglante et destructrice. Sans lumière, l’obscurité serait froide et stérile. »
Elle le conduisit vers une structure circulaire au centre de la cité. C’était un immense observatoire, dont le dôme ouvert révélait une vue spectaculaire sur le ciel étincelant.
« Voici la Chambre de l’Équilibre, » annonça-t-elle. « C’est ici que nous observons l’harmonie entre la lumière et l’obscurité dans tous les royaumes. »
À l’intérieur, un gigantesque mécanisme céleste tournait lentement, représentant des mondes et des dimensions que Masséo ne pouvait comprendre. Au centre, deux énergies – l’une dorée, l’autre d’un violet profond – s’entrelaçaient dans une danse perpétuelle.
« La lumière et l’obscurité, » murmura Stellaria. « Éternellement liées, éternellement en équilibre. »
Masséo observait, fasciné, lorsqu’il remarqua quelque chose d’étrange. Dans certaines régions de ce modèle cosmique, la lumière dorée semblait envahir et repousser l’énergie violette, créant des zones de déséquilibre.
« Qu’est-ce que c’est ? » demanda-t-il en pointant ces anomalies.
Le visage de Stellaria s’assombrit. « Ce sont les régions où l’équilibre est menacé. Où certains Porteurs de Lumière, dans leur zèle, ont oublié l’importance de l’obscurité. »
Elle soupira. « L’Ombre Obscurosse n’avait pas entièrement tort, Masséo. Il y a eu… il y a encore des Porteurs qui croient que toute obscurité doit être éliminée. Ils se font appeler les Illuminateurs, et ils agissent contre nos principes fondamentaux. »
Masséo la regarda avec surprise. « Alors… vous n’êtes pas tous d’accord ? »
« L’harmonie parfaite n’existe nulle part, pas même à Luminaria, » admit Stellaria. « Nous avons nos désaccords, nos factions. C’est pourquoi le rôle des Gardiens de l’Équilibre est si important. »
Elle s’agenouilla pour être à sa hauteur. « Je ne t’ai jamais entraîné pour détruire l’obscurité, Masséo, mais pour comprendre ton propre pouvoir et l’utiliser avec sagesse. Pour être un pont, pas une barrière. »
Masséo réfléchit intensément. Tout ce qu’il avait vu confirmait les paroles de Stellaria. Ce n’était pas un royaume de conquérants cherchant à éradiquer l’obscurité, mais une civilisation complexe qui, malgré quelques dissensions, semblait fondamentalement respecter l’équilibre.
« Je te crois, » dit-il finalement. « Mais je ne comprends toujours pas pourquoi L’Ombre Obscurosse me poursuit spécifiquement. Pourquoi moi ? »
Stellaria hésita, comme si elle pesait soigneusement ses mots. « Parce que tu es spécial, même parmi les Porteurs. Ta lumière a une qualité rare – elle ne repousse pas simplement l’obscurité, elle peut la transformer. »
« La transformer ? » répéta Masséo, confus.
« Oui. La plupart des Porteurs créent une lumière qui contraste avec l’obscurité. La tienne peut s’y mêler, la comprendre, et potentiellement la guérir lorsqu’elle est corrompue par la peur. »
Elle se releva et fit un geste vers le modèle cosmique. « Obscurosse le sait, et cela la terrifie. Car si tu maîtrises pleinement ton don, tu pourrais l’aider à retrouver sa véritable nature, avant qu’elle ne devienne une créature de peur. »
« Attends, » interrompit Masséo. « Tu veux dire que L’Ombre Obscurosse n’a pas toujours été… mauvaise ? »
« Aucune ombre n’est intrinsèquement mauvaise, » expliqua Stellaria. « Obscurosse était autrefois une gardienne des rêves profonds, ceux qui nous connectent à notre inconscient. Mais un événement traumatisant l’a transformée, l’a emplie de peur et de ressentiment. »
Masséo se souvint soudain de quelque chose que l’Ombre avait dit lors de leur première rencontre : « Elle a mentionné qu’elle avait été bannie du royaume des songes pour avoir été trop zélée… »
« C’est sa version de l’histoire, » acquiesça Stellaria. « La vérité est plus nuancée. Elle a été exilée après avoir tenté d’emprisonner les rêveurs dans des cauchemars perpétuels, croyant que c’était le seul moyen de les protéger des dangers du monde éveillé. »
« Alors, que dois-je faire ? » demanda Masséo, sentant le poids de cette révélation.
« Continue ton apprentissage, » répondit Stellaria. « Maîtrise ta lumière unique. Et quand viendra le moment de confronter Obscurosse, rappelle-toi que ton objectif n’est pas de la détruire, mais de l’aider à retrouver l’équilibre qu’elle a perdu. »
Elle lui tendit la main. « Il est temps de rentrer. Tu as beaucoup à méditer, et l’aube approche dans ton monde. »
Masséo prit sa main, l’esprit tourbillonnant d’informations nouvelles. Alors qu’ils quittaient l’observatoire, il jeta un dernier regard au modèle cosmique, aux deux énergies dansant ensemble dans un ballet éternel.
La lumière et l’obscurité. Deux faces d’une même réalité, nécessaires l’une à l’autre.
Et lui, Masséo, avait apparemment un rôle unique à jouer dans cet équilibre millénaire.
Le voyage de retour fut aussi étrange que l’aller, mais cette fois, Masséo n’avait pas peur. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il était à nouveau dans sa chambre, comme si rien ne s’était passé. Pourtant, tout avait changé.
« Repose-toi, » conseilla doucement Stellaria. « Demain, nous reprendrons ton entraînement avec un objectif plus clair. »
« L’Ombre Obscurosse reviendra bientôt, n’est-ce pas ? » demanda Masséo.
« Oui, » confirma gravement Stellaria. « Elle prépare sa confrontation finale. Mais cette fois, tu seras prêt – non pas pour la combattre, mais pour l’aider. »
Sur ces paroles, elle disparut dans son habituel tourbillon d’étincelles argentées, laissant Masséo seul avec ses pensées.
Il s’allongea sur son lit, la Pierre de Lumière toujours serrée dans sa main. Pour la première fois, il ne voyait plus sa peur du noir comme une faiblesse à surmonter, mais comme une partie de lui à comprendre et à accepter.
L’obscurité avait sa place, tout comme la lumière. Et bientôt, très bientôt, il devrait mettre cette compréhension à l’épreuve face à L’Ombre Obscurosse.
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 76
