— ⭐ —

Le soleil se couchait sur la petite maison aux volets verts où vivait Julie. Assise en tailleur sur son lit, la petite fille aux longs cheveux blonds et aux taches de rousseur éparpillées sur le nez feuilletait son livre préféré sur les animaux de la jungle.

« Regarde Choupette, » murmura-t-elle en montrant une image à son petit chaton roux lové contre elle. « C’est un tigre de Sumatra. Il n’en reste que quelques centaines dans la nature. »

Choupette miaula doucement, comme si elle comprenait la tristesse dans la voix de Julie. La chambre de la petite fille était un véritable sanctuaire pour la nature : des posters d’animaux recouvraient les murs, des plantes garnissaient le rebord de la fenêtre, et une collection de figurines d’animaux sauvages s’alignait fièrement sur son étagère.

Soudain, la porte s’ouvrit à la volée. Martin, son grand frère de 13 ans, fit irruption, manette de jeu à la main.

« Julie, Maman a dit que c’est l’heure du dîner! Tu viens? » lança-t-il sans détacher les yeux de sa console portable.

Julie soupira. « Tu as vu ce que dit ce livre? Les forêts tropicales disparaissent tellement vite que dans vingt ans, il n’y aura plus de tigres ni d’orangs-outans. »

« Ouais, ouais, » marmonna Martin en haussant les épaules. « Y’aura toujours des zoos, non? Allez, viens manger. »

La porte se referma, laissant Julie avec un sentiment de vide dans la poitrine. Elle serra Choupette plus fort contre elle.

« Personne ne comprend, Choupette. Même Maman, qui fait pourtant du compost et recycle tout, elle dit qu’il ne faut pas que je m’inquiète autant. »

Dans la cuisine, Myrielle avait préparé un repas entièrement végétal. Ses cheveux blonds vénitiens étaient attachés en un chignon désordonné tandis qu’elle servait une soupe de légumes du jardin.

« Julie, ma chérie, tu as les yeux rouges, » remarqua-t-elle en posant une main douce sur l’épaule de sa fille. « Tu as encore pleuré en lisant tes livres sur les animaux? »

Julie hocha timidement la tête. « Les abeilles disparaissent aussi, Maman. Et les ours polaires n’ont presque plus de banquise. »

« Je sais que c’est difficile, ma puce, » dit Myrielle en s’agenouillant pour être à sa hauteur. « Mais tu sais quoi? Des gens comme nous font des efforts tous les jours pour que ça change. C’est pour ça que nous avons notre petit potager et que nous faisons attention à ne pas gaspiller. »

« Mais ça ne suffit pas! » s’exclama Julie, les larmes aux yeux. « Tout le monde s’en fiche! Même Martin passe son temps sur ses jeux au lieu de faire quelque chose! »

« Hé, laisse-moi tranquille, » protesta Martin, la bouche pleine. « Ce n’est pas un gamin de 13 ans qui va sauver la planète! »

Le dîner se poursuivit dans une ambiance tendue. Julie mangea à peine, le cœur lourd. Cette nuit-là, allongée dans son lit, elle ne pouvait s’empêcher de penser à tous ces animaux qu’elle aimait tant et qui disparaissaient les uns après les autres. Choupette, blottie contre elle, ronronnait doucement, mais même ce son réconfortant ne parvenait pas à apaiser sa tristesse.

« À quoi bon grandir dans un monde où il n’y aura plus de forêts? » murmura-t-elle dans l’obscurité alors qu’une larme roulait sur sa joue.

C’est alors qu’un étrange phénomène se produisit. Une fine brume noire commença à s’échapper de sous son lit, s’élevant en volutes sinueuses dans la pénombre de la chambre. Choupette se redressa brusquement, le poil hérissé.

« Qu’est-ce que c’est que ça? » chuchota Julie, soudain alerte.

La brume s’épaissit et prit peu à peu une forme vaguement humanoïde. Deux points rouges apparurent, comme des yeux luisant dans le noir. Julie aurait dû être terrifiée, mais curieusement, elle se sentait plutôt… hypnotisée.

« Tes larmes m’ont appelé, petite humaine, » dit une voix crépitante qui semblait provenir de la brume. « Je suis Brumaléo, l’esprit du désespoir écologique. Je sens ta tristesse. Je la connais bien. La planète se meurt, et personne n’écoute. »

Julie se redressa sur son lit, incrédule. « Tu… tu es réel? »

« Aussi réel que la disparition des forêts, » répondit Brumaléo. « Je suis venu te montrer la vérité, Julie. Il est trop tard. Trop tard pour espérer. Trop tard pour sauver ce qui reste. »

À ces mots, la petite plante sur le rebord de la fenêtre de Julie commença à se flétrir. Ses feuilles jaunirent et tombèrent une à une.

« Non! » s’écria Julie en bondissant de son lit pour aller vers la plante. « Arrête! Qu’est-ce que tu lui fais? »

« Je ne fais que révéler ce qui va arriver, » murmura Brumaléo. « Toutes les plantes, tous les animaux que tu aimes tant… ils disparaîtront. C’est inévitable. »

Mais alors que Julie touchait les feuilles mourantes de sa plante, quelque chose d’extraordinaire se produisit. Une douce lueur verte émana de ses doigts. La plante se redressa légèrement, une nouvelle pousse apparaissant comme par magie.

« Impossible! » siffla Brumaléo, reculant légèrement.

Choupette sauta sur le rebord de la fenêtre et fixa l’entité brumeuse, ses yeux de chat brillant d’une étrange intelligence. Elle miaula vers Julie, comme pour l’encourager.

« Qu’est-ce qui se passe? » demanda Julie, fixant ses mains avec étonnement.

Brumaléo ondula, visiblement perturbé. « Tu ne devrais pas pouvoir faire ça. L’espoir est mort, tout comme ces forêts que tu chéris tant! »

À cet instant, le poster de la jungle sur le mur de Julie commença à s’animer. Les couleurs devinrent plus vives, et Julie crut entendre le bruissement des feuilles, le chant lointain des oiseaux exotiques.

« Qu’est-ce que… » balbutia-t-elle.

Une fissure luminescente apparut dans le poster, s’élargissant jusqu’à former ce qui ressemblait à une porte. Au-delà, Julie pouvait apercevoir une véritable jungle, luxuriante et vibrante de vie.

Brumaléo recula davantage, s’éloignant de cette lumière verdoyante. « Non! Ne l’écoute pas! Ne la laisse pas t’attirer! »

Mais qui était cette « elle » dont parlait Brumaléo? Julie n’avait entendu aucune voix, seulement les bruits de la jungle qui semblait l’appeler. Choupette sauta du rebord de la fenêtre et se dirigea résolument vers la porte luminescente, se retournant pour regarder Julie comme pour lui dire de la suivre.

« Choupette, attends! » s’écria Julie en voyant son chaton s’approcher de cette étrange ouverture.

Mais avant qu’elle ne puisse l’attraper, Choupette fit un bond et disparut dans la jungle. Sans réfléchir, Julie s’élança à sa poursuite.

Derrière elle, la voix de Brumaléo retentit, mêlée de colère et de peur : « Tu reviendras! Tu verras que j’ai raison! Il n’y a plus d’espoir pour ce monde ni pour aucun autre! »

Mais Julie ne l’écoutait déjà plus. Elle venait de franchir le seuil de son poster et se retrouvait maintenant au cœur d’une jungle plus réelle et plus extraordinaire que tout ce qu’elle avait pu imaginer. L’air était chaud et humide, rempli d’odeurs inconnues et enivrantes. Et quelque part devant elle, Choupette l’attendait, transformée d’une façon que Julie n’aurait jamais pu prévoir…

— ⭐ —